Chansons du Moyen-âge
Thibaut de Champagne
De fine amor vient seance et biautez
Dame, vers vos n’ai autre messagier
Par cui vos os mon corage envoier
Fors ma cbançon, se la volez chanter.
Dame, je n’ai d’autre messager
Par qui j’ose vous envoyer ce que j’ai dans le cœur,
Sinon ma chanson, si vous voulez bien la chanter
Et amors vient de ces deus autressi.
Tuit troi sont un, que bien i ai pensé,
Ja ne seront a nul jor departi.
Par un conseil ont tuit troi establi
Lor correors, qui sont avant alé.
De moi ont fet tout lor chemin ferré,
Tant l’ont usé, ja n’en seront parti.
Et l’amour procède lui aussi de ces deux-là.
Tous trois ne font qu’un, j’y ai bien réfléchi,
Et jamais ils ne pourront être séparés.
D’un commun accord, ils ont tous trois désigné
Leurs messagers, qui ont pris les devants.
Ils ont fait de moi leur grand chemin,
Et l’ont tant parcouru qu’ils n’en partiront pas de sitôt.
Li correor sunt de nuit en clarté
Et de jors sont par la gent obscurci.
Li douz regart et li mot savoré,
La grant biauté et li bien que g’i vi,
N’est merveille se ce m’a esbahi.
De li a Dex cest siecle enluminé:
Quant nos aurons le plus biau jor d’esté
Lés li serait obscurs de plain midi.
Ces messagers-là sont dans la lumière pendant la nuit
Et le jour, à cause des gens, ils sont dans l’obscurité.
Le doux regard et les paroles suaves,
La grande beauté et les qualités que je vis en elle,
Rien d’étonnant si j’en ai été tout ébahi.
Par elle Dieu a illuminé ce monde :
Si nous avions le plus beau jour d’été,
Il serait obscur auprès d’elle, en plein midi.
En amor a paor et hardement.
Cil dui sont troi et dou tierz sont li dui,
Et granz valors s’est a aus apendanz
Ou tuit li bien ont retrait et refui.
Por ce est amors li hospitaus d’autrui
Que nus n’i faut selonc son avenant.
Mès j’ai failli, dame qui valez tant,
En vostre ostel, si ne sai ou je sui.
Dans l’amour, il y a crainte et hardiesse.
Ces deux-là sont trois, et ils procèdent du troisième ;
Une grande valeur s’est attachée à eux,
En laquelle se sont réfugiés tous les biens.
Amour est le logis qui accueille tous les autres,
Car nul ne manque d’y trouver la place qui lui convient.
Mais moi, dame qui avez tant de valeur, j’ai échoué à me loger
En votre maison, et je ne sais plus où je suis.
Je n’i voi plus mes a lui me conmant,
Que toz penserz ai laissiez par cestui.
Ma bele joie ou ma mort i atent,
Ne sai lequel, desques devant li fui.
Ne me firent lors si oeil point d’anui,
Ainz me vindrent ferir si doucement
Dedens le cuer d’un amoreus talent,
Q’encor i est le cox que j’en reçui.
Je ne vois plus que faire, sinon me recommander à elle,
Car je n’ai plus d’autre pensée que celle-ci.
J’en attends ma belle joie ou ma mort,
Je ne sais laquelle des deux, depuis que je me trouvai devant elle.
Alors ses yeux ne me causèrent point de contrariété ;
Au contraire, ils vinrent me frapper si doucement
En plein coeur, d’un amoureux désir,
Que la marque du coup que j’en reçus s’y trouve encore.
Li cox fu granz, il ne fet qu’enpirier;
Ne nus mirez ne m’en porroit saner
Se cele non qui le dart fist lancier,
Se de sa main me voloit adeser.
Bien en porroit le cop mortel oster
A tot le fust, dont j’ai tel desirrier;
Mès la pointe du fer n’en puet sachier,
Qu’ele brisa deudenz au cap douner.
[Dame. vers vos n’ai autre messagier
Par cui vos os mon eorage envoier
Fors ma chançon, se la volez chanter.
Ce coup fut fort, la blessure ne cesse de s’aggraver.
Nul médecin ne m’en pourrait soigner,
Sinon celle qui fit lancer la flèche,
Si elle voulait bien me toucher de sa main.
Elle pourrait bien guérir le coup mortel
En ôtant le bois de la flèche, ce que je désire tant ;
Mais la pointe de fer, elle ne peut pas la retirer,
Car elle s’est brisée à l’intérieur au moment du coup.
Ceci est une copie partielle de la page : Moyen-âge passion / Thibaut de Champagne
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