Tag: "galerie"

Poteau portant des stigmates

Le 31 Mar 2021 par Jac Lou Réagir (3) » Partage » Partagez cet article sur Facebook
Poteau portant des stigmates

 Devant chez moi, devinez ce qu'il y a ? (bis) Un poteau, le plus vieux des poteaux, vieux poteau en bois sur le trottoir devant chez moi... Allez-y, vous pouvez chanter (1).

 Le poteau en bois devant chez moi est là depuis une éternité. Allez savoir quand commence une éternité. Il y a longtemps que le goudron dont il a été imprégné a cessé de couler lors des grandes chaleurs de l'été. Les pousses têtues de la glycine du jardin qu'il surplombe s'y sont accrochées, l'ont enserré et ont tenté de l'envahir. Il a vu passer beaucoup de passantes qu'un destin différent entraîne et qu'on ne retrouve jamais (2). Il a subi les chocs répétés des cartables des enfants qui sortaient de l'école et n'avaient pas rencontré de grand chemin de fer pour les emmener tout autour de la terre (3). Les jeudis ou les dimanches, il a été frotté par les cabats ventrus et pesants des chalandes et des chalands revenant à petits pas du marché local poétiquement dénommé "Le Temps des Cerises" (4). Des roues de poussettes mal guidées par des mamans toujours pressées et des guidons de vélo mal maîtrisés par des enfants impétueux, l'ont éraflé. Il a été arrosé par l'urine parcimonieuse de tous les chiens mâles du quartier, sans parler de celle de quelques prostatiques pris de court. On lui a punaisé des affichettes décrivant des chats ou des chiens perdus, avec ou sans collier, avec ou sans "puce". On lui a agraffé des avis de passage du préposé releveur des compteurs d'eau ou d'électricité du monde d'avant. On l'a ceint de ruban adhésif orange pour fixer des panonceaux informant le voisinage sur des travaux de voirie à venir. Il a servi de pilori pour les promeneurs de chiens assez inciviles pour laisser leur animal déféquer devant lui, au milieu du trottoir. On l'a finalement cerclé de métal pour y suspendre un boîtier de racordement de "la fibre". Mais rien de tout cela n'explique les stigmates qu'on peut voir en grand nombre sur sa surface, depuis le bas jusqu'en haut (ou presque). À l'origine de ces marques, il y aurait bien les griffes de la chatte craintive au pelage tricolore des voisins d'en face, ou celles de ce gros matou noir arrogant à la queue cassée, originaire des arrière-cours, qui ont tous deux régulièrement utilisé son bois tendre comme moyen de grimper jusqu'au mur le plus proche, ou d'en descendre. Mais non, les empreintes sont trop grandes, trop profondes. Si de traces de griffes il s'agit, alors l'animal qui les a laissées doit être d'une taille respectable ! Laissons les plus imaginatifs évoquer un félin, ou un ours, échappé d'un cirque de passage et parcourant, la nuit, les rues de la ville...

 Les plus anciens de mes amis lecteurs (*) ont sûrement déjà vu les responsables de ces cicatrices, car ils oeuvr(ai)ent en plein jour. Leur taille est en effet "respectable", car ils appartiennent à l'espèce humaine. Ce sont les ouvriers employés des P.T.T., des P&T, ou, "progrès" oblige, leur successeurs employés des sous-traitants des sous-traitants d'Orange. Ils attach(ai)ent des griffes à leurs chaussures pour grimper en haut du poteau pour y effectuer les tâches de maintenance des lignes téléphoniques (5). Les griffes en question sont encore appelées des "grimpettes".

Cliquer sur une photo pour l'agrandir.

 Quelqu'une, près de moi, a dit "si tu ne montres pas qu'il n'y a pas de marques en haut du poteau, tu ne prouves rien...". Alors, voilà comment se présente le haut du poteau (à gauche), et les agrandissements de 3 segments consécutifs, sur fond de ciel bleu, allant du bas vers le haut, en partant du dernier portant des marques, situé à environ 1,5 m du sommet.

  • 1 - chanson / comptine pour enfants "Derrière chez moi"
  • 2 - "Les passantes", poème d'Antoine Pol mis en musique par Georges Brassens
  • 3 - "En sortant de l'école" poème de Jacques Prévert
  • 4 - Allusion à la chanson écrite en 1866 et postérieurement dédicacée par son auteur, Jean-Baptiste Clément, "À la vaillante citoyenne Louise, l'ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871." , jeune femme qu'il rencontra sur une barricade lors de la "Commune de Paris". Depuis, la chanson est comprise comme une évocation de ces événements.
  • 5 - les derniers que j'ai vus étaient perchés dans une nacelle auto-portée.