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Statistique, concomitance et causalité

Le 2 Aoû 2012 par Jac Lou Réagir (4) » Partage » Partagez cet article sur Facebook

Concomitance.

Image de chimiste versant un liquide dans une fiole

J'en ai oublié les détails précis, mais j'en ai retenu la leçon. Cela se passait en 1963 ou 1964 à l'École Normale d'Instituteurs de Versailles, pendant un cours de Sciences Naturelles. C'est ainsi qu'on appelait alors ce qu'on désigne dans les années 2000 par l'acronyme SVT, Sciences de la Vie et de la Terre. Notre abréviation à nous, c'était sciences-nat. À chaque époque ses raccourcis ! Mais que faisait donc à ce moment précis le professeur Bozzone, un homme grand, au visage sévère, coiffé en brosse, revêtu de la traditionnelle blouse blanche ? Je n'en ai pas le souvenir précis. Sans doute se préparait-il à verser le contenu d'une fiole A dans une fiole B en nous recommandant d'être attentifs à ce qui allait se passer. Toujours est-il qu'au moment précis de l'exécution du geste : "BANG !". Un énorme bruit se produit, faisant sursauter l'assistance. Le professeur reprend tranquillement en faisant remarquer qu'il n'y avait pas de lien entre son geste et ce qui était sans doute le claquement violent d'une porte dans le couloir attenant à la salle de classe. Concomitance n'implique pas causalité. Deux évènements se produisant simultanément ne sont pas, du seul fait de leur simultanéité, reliés pas une relation de cause à effet. Cette épisode inattendu du cours et l'exploitation intelligente qu'en avait faite le professeur Bozzone allait me marquer définitivement.

Épiphénomène.

Bien plus tard, à la fin des années 1970, au cours de mes études de neurophysiologie, j'ai assisté à l'enseignement du professeur Pierre Buser. Cet "électricien du cerveau", comme il aimait lui-même à se qualifier, insistait également sur le fait que lors de l'étude d'un phénomène, on ne devait pas interpréter comme ayant obligatoirement un lien causal avec lui des évènements simultanés qui pouvaient n'être que des concomitants épi-phénoménaux. Pour donner un exemple, qui n'est pas celui du professeur Buser, la conscience est un épiphénomène du fonctionnement cérébral. Elle n'est pas la cause de l'activité de l'ensemble des cellules du cerveau. On ne peut pas dire non plus si elle en est la conséquence. Mais les deux sont indubitablement concomitants. Je n'ai plus en tête la formulation exacte, forcément absconse, qu'avait employée le professeur Buser. Notre ami Yves l'avait, lui, apprise par cœur et il nous la récitait parfois pour nous amuser lors des repas pris ensemble quand les "manips" duraient au-delà du raisonnable. Mais, pour moi, même si la récitation me faisait sourire, elle entrait en résonance avec le souvenir de la porte qui claque au moment où le professeur fait sa démonstration.

Enquêtes, statistiques et corrélations.

Il est peut-être temps d'éclairer le lecteur qui m'aura suivi jusqu'ici sur les raisons de ces remémorations. Je viens d'entendre à la radio une revue de presse matinale que la journaliste a terminée sur une enquête dont les résultats publiés le 1er août 2012 révéleraient que les entreprises ayant au moins une femme dans leur conseil d'administration seraient en moyenne plus performantes que les autres (voir dans l'Usine Nouvelle). Bien sûr, cette annonce a ravi ma compagne et elle m'a traité de "macho" quand je lui ai fait remarquer que la présence de femmes dans un conseil d'administration pouvait n'être qu'un épiphénomène par rapport aux performances de l'entreprise et que la concomitance, ce que d'aucuns appellent une "corrélation", de la présence de femmes avec la performance supérieure n'avait pas forcément une valeur causale. Et quand bien même causalité il y aurait, une simple enquête statistique ne pourrait rien dire du sens de cette causalité, la présence de femmes pouvant être une conséquence de la performance plutôt que sa cause. Seule la méthode expérimentale permettrait d'aller plus loin. On exclurait les femmes présentes dans les hautes fonctions dirigeantes des entreprises qui font mieux que la moyenne et on vérifierait si oui ou non la performance baisse... Je ne suis pas certain que cette démarche soit possible :)

J'aurais pu également titrer cette chronique "Réalité et idéologie". Je reconnais cependant que parfois, pour faire progresser la société, il peut être utile, sinon nécessaire, d'admettre quelques entorses à la démarche scientifique. Mais les journalistes sont décidément trop enclins à ces interprétations hasardeuses des enquêtes statistiques pour ne pas saisir l'occasion de le leur reprocher.