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Dénonciation ou délation ?
Agacé ! Je suis a-ga-cé.
La nécessité du dialogue, qui arrondirait les angles inévitables dans la vie en société, est souvent proclamée. Or, pour qu'un dialogue puisse utilement s'établir, encore faut-il que les interlocuteurs parlent la même langue et donnent le même sens aux mots qu'ils emploient. Évidence d'où je tire mon amour du "bon mot" (je souligne pour les distraits le double sens de l'expression). En règle générale, je m'efforce de m'exprimer en employant les mots justes dans le bon contexte. Je pense que c'est encore la meilleure façon d'être bien compris, même si j'ai souvent été surpris et déçu que des correspondants aient pu, parfois, lire autre chose que ce que j'avais écrit.
J'ai consulté mon dictionnaire il n'y a guère - et bien m'en a pris - pour vérifier quel était vraiment le sens de "vade-mecum" (ou vadémécum dans l'orthographe réctifiée 1990 - ouarf !). Je venais de pontifier en interprétant ce mot comme "comment faire", ou livre de recettes, alors que celui ou celle qui a fait ses humanités avec latin première langue sait, sans l'aide du dictionnaire, que cela signifie "viens avec moi", et désigne un petit guide à emporter avec soi, comme le "Guide du routard" par exemple (pub gratuite). Ceci pour dire que je ne me considère pas infaillible et que les leçons que je donne me sont d'abord destinées.
Digression. J'espère que le lecteur compatissant voudra bien trouver des excuses à ma relative méconnaissance des racines latines quand il aura appris qu'elle est la conséquence d'une scolarité sans latin, commencée dans la filière "Moderne-prime" d'un "Cours-Complémentaire" dans une petite ville ouvrière au ban de la capitale.
Pour ceux de mes lecteurs chéris qui n'auraient connu Mai-68 qu'à travers les dénigrements du président de la République française dont le mandat s'est achevé en 2012 (l'humour de cette remarque se périme le 6 mai 2012), je précise qu'un Cours-Complémentaire c'était, entre 1901 et 1959, une contrefaçon des petites-classes-des-lycées à destination des bouseux ou des filles et fils de prolétaires. Jean Zay, ministre du Front Populaire en 1936, avait échoué dans sa tentative d'unifier les Cours-complémentaires et les petites-classes-des-lycées. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, quand même ! Cette unification ne sera finalement faite, partiellement, car les "grands" lycées résisteront vaillamment à l'invasion par la populace, qu'avec le "collège unique" créé par la loi Haby en 1975 (gouvernement Chirac sous la présidence Giscard). L'Histoire n'est pas finie puisque le collège unique est aujourd'hui (gouvernement Fillon sous la présidence Sarkozy) accusé d'être à l'origine de tous les maux dont souffre notre "pauvre Éducation Nationale". Il est fort possible que dans un futur pas si lointain des gouvernants se prétendant socialistes réussissent à anéantir cette "anomalie" de gauche prise par un gouvernement de centre droit.
Agacement. Holà ! cette digression, pour intéressante qu'elle me paraisse, nous éloigne de mon propos. Le lecteur qui ne se sera pas laissé perdre dans les détours imposés par le paragraphe précédent se demande certainement où est passé l'agacement dont je faisais état plus haut. Il n'a pas disparu. Il provient de la lecture d'un petit article du journal du matin qu'un jeune homme courageux dépose dans ma boîte à lettres avant mon réveil. Dans cet article, le journaliste rapporte les derniers développements judiciaires liés à des émeutes de quartier survenues en novembre 2007. En résumé, de la façon la plus neutre possible, il s'agit de la condamnation, confirmée en appel, des auteurs de coups de feu en direction de policiers, faisant suite à un accident entre une moto et une voiture de la police. Les auteurs des tirs contre la police avaient été retrouvés et condamnés grâce à un appel à témoins avec promesse de rémunération.
Le détail des faits n'a pas à voir avec mon agacement. Celui-ci résulte des propos d'un des avocats des condamnés qui aurait récemment déclaré au sujet des témoignages éventuellement rémunérés : "On est quand même dans la délation financée par l'État". C'est là que les mots s'enmêlent et que mon amour du mot juste est contrarié ! Un avocat ne peut pas méconnaître le sens du mot "délation". Il ne peut pas ignorer que ce mot évoque de façon persistante la période de l'occupation de la France par les nazis... Définitivement, la "délation" est une dénonciation calomnieuse faite dans l'intention de nuire. Tous les dictionnaires vous le diront. Wikipedia dit même "dénonciation méprisable et honteuse". Si on cherche un peu sur l'Internet, on est rapidement convaincu que le mot est employé très souvent à tort. Il n'est pas acceptable, selon moi, d'employer ce mot, comme c'est trop souvent le cas, quand il s'agit d'une simple dénonciation de faits condamnables. Il me semble que les journalistes devraient être plus attentifs au bon usage des mots délation ou dénonciation, car n'est-ce pas une partie de leur quotidien que de dénoncer ce qui ne va pas droit en étant rémunérés pour le faire ? J'imagine qu'ils n'aimeraient pas qu'on les qualifie de "délateurs" :).
Pas de verbe "délater" ! Dénoncer une malversation, un crime ou un délit, ce n'est pas "délater". Tiens, ce verbe n'existe pas !? Il n'y aurait donc pas de verbe pour l'action de délation ? Malheureusement, délation dérive bien, comme dénonciation, du verbe dénoncer, d'où peut-être la confusion permanente entre les deux substantifs que les "Monsieur Jourdain" que nous sommes entretiennent sans le savoir. Il eût été trop beau qu'il n'y ait pas de verbe pour une si mauvaise action...
Quelques liens utiles à consulter :
- sur le sens de délation (clic)
- sur le verbe correspondant à délation (clic)
- sur les Cours-complémentaires (clic)
- sur les Collèges d'Enseignement Général (clic)
- sur Jean Zay (clic)
Appréciation, question, commentaire ? Réagir=(clic) - merci.
2 commentaires
“Évidence d’où je tire mon amour du “bon mot” (je souligne pour les distraits le double sens de l’expression). En règle générale, je m’efforce de m’exprimer en employant les mots justes dans le bon contexte. Je pense que c’est encore la meilleure façon d’être bien compris, même si j’ai souvent été surpris et déçu que des correspondants aient pu, parfois, lire autre chose que ce que j’avais écrit”
Premier paragraphe, j’aurais plus utilisé le terme “dont” plutôt que “d’où", mais c’est personnel. En revanche, si tu souhaites employer les mots précis dans le contexte adéquat, le terme amour va à une relation où les deux ont réussi à aimer pour pouvoir y accéder. Appréciation est un terme suffisamment fort que nous n’employons plus par avidité de fuir notre crasse médiocrité et de ne montrer que le plus fort. Histoire de faire croire que nous le sommes aussi. Ce qui est totalement faux. Le chat qui se sait fort n’a pas besoin de hérisser ses poils.
Précis, exacts, me semblent plus pertinents que “justes” que personnellement j’opposerais à injuste et voudrais éviter d’employer à mauvais escient. Ce qu’oralement je ne réussis pas toujours à éviter.
Les mots que nous employons vivent dans un environnement sémantique qui est propre à chacun, même s’il y a - s’il devrait y avoir - une large part commune à tous ceux qui partagent la même langue. J’ai *l’amour* des mots et tant pis si les mots ne me le rendent pas. J’ai ouvert ma messagerie *juste* à temps pour recevoir la notification de l’existence d’un commentaire de rkael. L’aurais-je ouverte injustement plus tard ?
Va, j’avoue, je ne suis pas toujours aussi attentif que je le prétends à la précision des mes propos. Le sage n’a pas besoin d’avoir raison…
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