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Statistique, concomitance et causalité
Concomitance.
J'en ai oublié les détails précis, mais j'en ai retenu la leçon. Cela se passait en 1963 ou 1964 à l'École Normale d'Instituteurs de Versailles, pendant un cours de Sciences Naturelles. C'est ainsi qu'on appelait alors ce qu'on désigne dans les années 2000 par l'acronyme SVT, Sciences de la Vie et de la Terre. Notre abréviation à nous, c'était sciences-nat. À chaque époque ses raccourcis ! Mais que faisait donc à ce moment précis le professeur Bozzone, un homme grand, au visage sévère, coiffé en brosse, revêtu de la traditionnelle blouse blanche ? Je n'en ai pas le souvenir précis. Sans doute se préparait-il à verser le contenu d'une fiole A dans une fiole B en nous recommandant d'être attentifs à ce qui allait se passer. Toujours est-il qu'au moment précis de l'exécution du geste : "BANG !". Un énorme bruit se produit, faisant sursauter l'assistance. Le professeur reprend tranquillement en faisant remarquer qu'il n'y avait pas de lien entre son geste et ce qui était sans doute le claquement violent d'une porte dans le couloir attenant à la salle de classe. Concomitance n'implique pas causalité. Deux évènements se produisant simultanément ne sont pas, du seul fait de leur simultanéité, reliés pas une relation de cause à effet. Cette épisode inattendu du cours et l'exploitation intelligente qu'en avait faite le professeur Bozzone allait me marquer définitivement.
Épiphénomène.
Enquêtes, statistiques et corrélations.
Il est peut-être temps d'éclairer le lecteur qui m'aura suivi jusqu'ici sur les raisons de ces remémorations. Je viens d'entendre à la radio une revue de presse matinale que la journaliste a terminée sur une enquête dont les résultats publiés le 1er août 2012 révéleraient que les entreprises ayant au moins une femme dans leur conseil d'administration seraient en moyenne plus performantes que les autres (voir dans l'Usine Nouvelle). Bien sûr, cette annonce a ravi ma compagne et elle m'a traité de "macho" quand je lui ai fait remarquer que la présence de femmes dans un conseil d'administration pouvait n'être qu'un épiphénomène par rapport aux performances de l'entreprise et que la concomitance, ce que d'aucuns appellent une "corrélation", de la présence de femmes avec la performance supérieure n'avait pas forcément une valeur causale. Et quand bien même causalité il y aurait, une simple enquête statistique ne pourrait rien dire du sens de cette causalité, la présence de femmes pouvant être une conséquence de la performance plutôt que sa cause. Seule la méthode expérimentale permettrait d'aller plus loin. On exclurait les femmes présentes dans les hautes fonctions dirigeantes des entreprises qui font mieux que la moyenne et on vérifierait si oui ou non la performance baisse... Je ne suis pas certain que cette démarche soit possible :)
J'aurais pu également titrer cette chronique "Réalité et idéologie". Je reconnais cependant que parfois, pour faire progresser la société, il peut être utile, sinon nécessaire, d'admettre quelques entorses à la démarche scientifique. Mais les journalistes sont décidément trop enclins à ces interprétations hasardeuses des enquêtes statistiques pour ne pas saisir l'occasion de le leur reprocher.
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4 commentaires
Très intéressant.
Tous les statisticiens et tous les journalistes devraient apprendre par cœur votre chronique.
Quant à la télévision, mieux vaut ne pas en parler.
Merci de votre lumineuse contribution.
Jean Claude Duval.
Corrélation n’est (peut-être) pas causalité…
Evidemment, si c’est la seule corrélation qui ait été décelée dans l’entreprise, il faudra bien admettre l’éventualité (à vérifier) d’un bénéfice de l’élément féminin dans les instances dirigeantes. (Courage, Jacques !)
Mais, je doute que toutes les corrélations possibles et imaginables aient été recherchées par ailleurs. Etude tronquée alors. La vraie vie en société est complexe : alors comment être sûr que toutes les variables aient été prises en compte dans un même modèle d’étude non biaisé ? Ensuite, qu’est-ce qui détermine quoi ?
On (?) dit que les statistiques sont l’art de faire mentir les chiffres. Je ne peux le laisser dire. Mais c’est tout de même vrai si les tests utilisés ne sont pas pertinents, si l’échantillon n’est pas représentatif, ou encore comme tu le dis fort bien quand la démarche scientifique est déficiente. Il eut fallu apprendre plusieurs métiers pour traiter la question soulevée. Faute de quoi, l’aplomb —comme pour compenser le manque de poids statistique— détermine certains à s’autoriser des affirmations simplificatrices plombées et, plus grave, à les publier avec légèreté ! Pauvre journaliste !
Et malheureusement les journalistes comme monsieur et madame tout le monde interprètent tous les événements du quotidien par le biais de la causalité
Je suis parfaitement d’accord avec mon homonyme.
J’ajouterais seulement, en ces temps où nous sommes malmenés, que les politiciens et les crânes d’oeuf qui nous gouvernent feraient bien de prendre de la graine de votre lumineuse contribution.
Mille mercis pour elle.
Quand prenez-vous le pouvoir dans notre pays ?
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