Trop d'ancêtres ? Dans un billet précédent (clic), j'ai expliqué que, sans l'implexe, le nombre de mes ancêtres aux alentours du 12ème siècle devrait être plus grand que la population totale de la planète. Cela supposait évidemment que j'avais une idée du nombre d'habitants sur la Terre à cette époque. En cherchant des estimations fiables sur l'évolution de la population globale de la Terre au cours des âges, j'ai trouvé sur le Net une affirmation étonnante : le nombre des personnes vivantes serait aujourd'hui plus grand que le nombre total des humains ayant vécu dans le passé. En d'autres termes les vivants seraient plus nombreux que les morts. Le Net étant ce qu'il est, j'y ai trouvé aussi, bien sûr, la réfutation de cette affirmation. Je l'expose ci-dessous.
Sept milliards de vivants mais combien de morts ? En 2011, l'ONU annonce que la population humaine a atteint 7 milliards d'individus. C'est sans doute ce nombre si grand, associé à une conception plus ou moins religieuse de l'évolution de la population de la Terre, qui a excité les imaginations et a conduit certains à cette idée, fausse on va le voir, que le vivant surpasse le mort. Il est vrai qu'il n'est pas facile d'avoir une idée claire de l'évolution de la population terrestre. Il est nécessaire de combiner les travaux des archéologues, des anthropologues, des sociologues, des démographes, des statisticiens, des historiens, pour tenter de comprendre comment la population de notre planète a pu évoluer. La synthèse de tous ces travaux a été faite notamment par le "Population Reference Bureau" (PRB) de Washington (1) et par notre Institut National d'Études Démographiques (INED) (2). Le résultat de cette synthèse est présenté dans le graphe qui suit.
Qui est le premier (la première) ? Les valeurs avancées tiennent compte des effectifs supposés des populations et de leur taux de natalité hypothétiques. Ces derniers sont imposés par le fait que des taux plus faibles auraient conduit inévitablement à la disparition de l'espèce humaine... Une difficulté apparente pour dénombrer les humains ayant vécu est la détermination du début des temps pour l'humanité. Doit-on considérer Homo sapiens (vers -200 000) ou Homo sapiens archaïque (vers -600 000) ou même des homininés plus anciens comme "Lucy" (vers -3 200 000) ? Le PRB compte à partir de -50 000, choix surprenant, car c'est en pleine période froide précèdant Cro-Magnon (vers -30 000) et où Homo sapiens cohabite avec Homo néanderthalensis (3), une autre branche des homininés. L'étonnant est que selon les spécialistes, ce choix n'est pas décisif car les populations d'origine sont peu nombreuses pendant de très longues périodes et évoluent très lentement.
Un couple seul au Monde ? Une autre difficulté apparente est le nombre d'individus à considérer à l'origine. Les populations anciennes ne devaient pas comporter plus que quelques dizaines ou centaines de milliers d'individus. Le PRB considère à l'origine 2 individus (un couple). Est-ce à nouveau une influence religieuse ou simplement une simplification ? Encore une fois, les spécialistes ont montré que le résultat final du dénombrement n'est pas significativement différent quel que soit le choix de départ. Toutefois, il ne faudrait pas sous-estimer le rôle éventuel d'un hasard malheureux qui aurait pu conduire à l'extinction de l'espèce humaine dans le cas d'une population de départ trop faible (voir la discussion "Le rôle du hasard dans la croissance des populations" dans le document de l'INED (2) cité plus haut).Plus de morts que de vifs. Les conclusions des synthèses faites par le PRB ou l'INED sont qu'on peut estimer le nombre des humains ayant vécu depuis les origines de l'humanité entre 80 et 100 milliards. Donc il apparaît que l'affirmation selon laquelle, avec une population de 7 milliards d'individus, nous serions plus nombreux aujourd'hui que tous les humains ayant jamais vécu est infondée et, qui plus est, cette situation ne s'est jamais produite dans le passé comme le montre le graphe où la courbe bleue (population) reste toujours sous la verte (cumul). Le rapport des morts aux vivants est donc actuellement de environ 100 que divise 7, soit environ 15. Autrement dit, il y a quinze fois plus d'humains ayant vécu que d'humains vivants. La Terre est un gigantesque ossuaire.
Arthur Charles Clarke le prophète. Le titre de mon article - qui devrait rester vrai quelques temps - est adapté de ce que Arthur C Clarke écrivait dans une préface à son roman "2001: une odyssée de l'espace". Je reproduis ci-dessous cette préface [cliquer sur le texte pour voir la version originale anglaise]. Notons que la valeur trente donnée au nombre des "fantômes" n'est pas une erreur de Arthur C Clarke. En 1968, date de publication de "2001", la population de la planète ne dépassait pas 3,5 milliards d'humains, soit la moitié de la population de 2011, et le rapport des morts du passé aux vivants de l'époque était bien approximativement 2 fois plus grand qu'en 2011, soit environ trente. En revanche on peut remarquer l'étonnante clairvoyance de Arthur C Clarke, qui, environ 40 ans avant les bureaux de population, avance une estimation compatible avec leurs résultats.
Et ce nombre est très intéressant car, par une curieuse coïncidence, il existe environ cent milliards d’étoiles dans notre univers local, la Voie Lactée. Ainsi pour chaque homme qui vécut jamais, une étoile brille dans cet Univers. Mais chacune de ces étoiles est un soleil, souvent plus lumineux et plus puissant que cette petite étoile proche de nous que nous appelons le Soleil. Et nombre de ces soleils étrangers -- peut-être tous -- possèdent des planètes qui tournent autour d’eux. Ainsi, il existe presque certainement de par les cieux assez de mondes pour donner à chacun des humains qui habitèrent la Terre, jusqu'aux premiers hommes-singes, son propre monde-paradis -- ou monde-enfer -- qui n’appartient qu’à lui.
Combien de ces paradis, de ces enfers, potentiels sont-ils actuellement habités et par quel genre de créatures, il nous est impossible de le deviner. L’étoile la plus proche est encore des millions de fois plus éloignée de nous que Mars ou Vénus qui, pour la génération à venir, restent des buts difficiles à atteindre. Mais la muraille des distances s’effondre : un jour, parmi les étoiles, nous rencontrerons nos égaux, ou nos maîtres.
Les hommes ont mis longtemps à admettre cette idée. Certains espèrent encore qu’elle ne deviendra jamais une réalité. Un nombre pourtant chaque jour plus important demande : 'Pourquoi une telle rencontre n'a-t-elle pas déjà eu lieu, puisque nous-mêmes sommes prêts à nous aventurer dans l'espace?'
Oui, pourquoi, en vérité ? Voici une réponse possible à cette question très raisonnable. Mais rappelez vous bien qu’il ne s’agit que d’une œuvre de fiction.
La vérité, comme toujours, sera encore bien plus étrange.
― Arthur Charles Clarke, avant propos de "2001 : l’odyssée de l’espace", 1968
Quelques références utiles déjà citées ou complémentaires : consultez les, elles sont très éclairantes (malheureusement plusieurs sont désormais inaccessibles : sites modifiés ou disparus)
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