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Le cousin Louis Louvel, né à Ernes
Une courte histoire de Louis Louvel
Louis est un cousin germain de mon grand-père Pierrot. C'est le troisième enfant de Pierre Anatole Louvel, le frère de Joseph Ernest Louvel, père de Pierrot. Voir l'Ascendance Louvel (clic). C'est à lui que j'ai d'abord pensé quand j'ai cherché qui était ce Louis qui signait la carte postale envoyée à mon grand-père Pierrot et retrouvée dans les "archives" de ce dernier (voir "La carte postale du cousin Louis").
Né à Ernes. Louis Robert Adrien Louvel est né à Ernes dans le Calvados. Selon le recensement de 1881, deux ans avant la naissance de Louis, Ernes est un village de 424 habitants occupant une centaine de maisons réparties entre quelques hameaux. La population d'Ernes est plutôt décroissante puisqu'elle perd dix pourcents de son effectif en une vingtaine d'années et ne dépasse plus 380 habitants au début du vingtième siècle (*).
Depuis les années 1850, la famille Langlinay - Louvel, qui résidait auparavant à Laize-la-Ville puis Saint-Pierre-sur-Dives, habite successivement dans les divers hameaux d'Ernes. À la fin des années 1870, la famille habite le "village de l'église". Anatole Louvel, l'aîné des garçons, a remarqué Valentine Botrel parmi les filles du village. Elle habite au hameau de la Carrière. Ils se marient à Ernes le 16 août 1878 et s'installent au hameau de la Cavée (*). Ils ont déjà deux garçons, l'un âgé de 4 ans et l'autre de 2 ans quand Valentine y donne naissance à Louis, le 10 mai 1883. Celui-ci est donc l'aîné de mon grand-père Pierrot d'un an et demi.
Orphelin de mère. Louis a tout juste trois ans quand sa mère Valentine Botrel meurt, le quatorze mai 1886. La ou les raisons du décès de Valentine ne me sont pas connues. L'hypothèse d'un accident reste possible, mais rien de semblable n'est mentionnée dans on acte de décès. D'autre part, à cette date, on ne trouve pas de déclaration d'une naissance ou d'un enfant mort-né, donc le décès n'est sans doute pas lié à un accouchement qui se serait mal passé. Une épidémie de choléra, provoquant des décès rapides, a bien frappé l'ouest de la France, pendant les années 1881-1886, mais il serait très surprenant qu'une seule personne en soit atteinte dans une famille.
Au fil des recencements.
En 1886, le recensement situe la famille au hameau de la Croix. Louis est enregistré sous son deuxième prénom, Robert, qui était sans doute son prénom usuel. Nous continuerons cependant à l'appeler Louis entre nous. Le père de Louis, Pierre Anatole, exerce alors la fonction de cantonnier à Ernes, comme il l'a précisé également un an plus tôt, le dix avril 1885, lorsqu'il a déclaré la naissance de Léonie Marie, la sœur cadette de Louis. Auparavant, Pierre Anatole s'était successivement présenté comme ouvrier charpentier lors de la naissance de son aîné Joseph Pierre Hippolyte, le douze juin 1879, puis maçon lors de la naissance de son deuxième fils Henri Marius Gustave, le vingt-trois juin 1881. Après la mort de sa femme, le père ne peut sans doute pas s'occuper seul de ses quatre enfants. Il peut heureusement compter sur l'aide de sa mère Louise Langlinay qui habite avec lui. La mère de Louise Langlinay, Marie Jeanne Clérisse, qui vivait aussi avec eux au hameau de La Cavée (*), est décédée à l'âge de 82 ans et 3 mois, le douze janvier 1882, donc avant la naissance de Louis.
En 1891, Louis a huit ans et il habite dans le Bourg avec son père Anatole, ses frères Pierre et Gustave et sa sœur Léonie. Le recensement ne précise pas qu'il est écolier, mais depuis les lois Jules Ferry en 1882, l'école est obligatoire de 6 à 13 ans. Grand-mère Louise Langlinay, qui a bientôt soixante-dix ans, travaille toujours "au ménage" pour la famille, mais elle décèdera le 24 septembre 1894, âgée de 72 ans et deux mois, alors que Louis a déjà 11 ans.
En 1896, la famille a déménagé dans une maison située sur la route de Mézidon-à-Falaise qui traverse Ernes du Nord au Sud. Louis a treize ans et, selon le recensement où il est toujours noté avec son deuxième prénom Robert, il ne travaille pas - il est peut-être encore à l'école, 13 ans étant, à l'époque, l'âge du certificat d'études primaires.
En 1901, lors du recensement suivant, la famille a éclaté. Louis Robert, qui a dix-huit ans, est sans profession. Il vit toujours route de Mézidon-à-Falaise, mais dans la maison voisine de celle de son père, chez Victoria Colas, 49 ans, et Émile Auger, 50 ans, tous deux journaliers. Il est à noter qu'il peut aussi s'agir tout simplement d'un oubli du recenseur qu'il "rattrape" en portant Louis à l'effectif de la maison suivante. Ses frères aînés, Pierre (Joseph Pierre Hippolyte), 21 ans, journalier, et Gustave (Henri Marius Gustave), 18 ans (?), couvreur, vivent dans une autre maison située route de Vendeuvres au Haut d'Ernes (*).
En 1906, Louis Robert est journalier, c'est à dire qu'il se loue à la journée pour les travaux agricoles. Tous les enfants sont de nouveau réunis sous le même toit à Ernes, au hameau du Fossard, sur la route de Maizières, avec leur père et une "amie", Marie Boucher, journalière, née à Caen en 1878. De qui est-elle l'amie ? Ce n'est pas précisé, mais en 1911 elle est toujours au même domicile que le père Louvel Pierre Anatole, au hameau du Fossard, et est enregistrée comme étant une cousine. Une tante de Pierre, Clémence Sauton, veuve Hyver, née en 1833 à Ernes, réside également avec eux alors que les fils sont partis.
La page suivante vous raconte comment Louis a satisfait à ses obligations militaires de Falaise à Verdun.
Obligations militaires.
Petit Louis. Lorsqu'il atteint ses 20 ans, Louis est un un "besot" comme on dit au pays, c'est à dire un homme de relativement petite taille puisque la toise du Conseil de révision indique 1,59m. Les documents militaires le décrivent comme ayant les yeux marrons, les cheveux et les sourcils noirs. Son visage est rond avec un front droit, une petite bouche et un menton fuyant. Comme 2 conscrits sur 3 dans les premières années du 20e siècle, Louis a bénéficié de la "loi Ferry" de 1882 et il sait lire, écrire et compter.
Chasseur à pied.
Louis est malgré tout incorporé comme chasseur de 2ème classe au 19ème Bataillon de Chasseurs à pieds le 14 novembre 1904 (matricule 2608). Ce bataillon est caserné à Verdun, "dans ce Faubourg-Pavé que domine l’altière Porte Chaussée" (*), au quartier Radet ou Saint-Nicolas. Louis connaît sans doute à Verdun "les joies" des villes de garnison. La routine est rompue par les exercices le long de la Meuse, les marches à travers la Woëvre. Au temps des cerises, Chalons accueille les recrues pour les tirs de combat. Et le rendez-vous de septembre réunit les bataillons de l’Est pour les grandes manœuvres de Lorraine (*). C'est qu'on prépare activement la revanche de la défaite de 1870. À l'issue des manœuvres, grâce à l'article 21 de la loi militaire, Louis est mis en disponibilité, le 23 septembre 1905, en même temps que son frère aîné Henri. Un "certificat de bonne conduite" lui est accordé. Louis rentre donc alors à la maison et il passe automatiquement dans la réserve de l'armée active le 1er octobre 1907, à l'issue de sa période théorique de service actif.
Dans la réserve. Comme réserviste, Louis effectue deux périodes d'exercices du 27 août au 23 septembre 1908 puis du 9 au 25 octobre 1912. Mais cette fois il n'ira pas à Verdun, les périodes se feront au 5ème Régiment d'Infanterie, en garnison à la caserne Dumont d'Urville de Falaise.
Un militaire c'est un civil en uniforme.
Revenu à la vie civile, Louis se marie à Ernes le vingt-trois juillet 1910 avec Jeanne Ernestine Richer. Jeanne est née le sept juillet 1884 à Barbery, village situé à une quinzaine de kilomètres à l'Ouest d'Ernes. En 1906, elle habite chez ses parents à Boissey, à moins de 6km à l'Est de Saint-Pierre-sur-Dives, soit une bonne douzaine de km d'Ernes à vol d'oiseau. Le recensement cette année là nous apprend qu'elle a un frère, Ernest Richer, né en 1894 à Ecots, mais aussi qu'une petite-fille des parents, née le 2 novembre 1904 à Boissey, vit également avec la famille. Les registres d'état-civil de Boissey nous confirment qu'il s'agit bien de la fille naturelle de Jeanne.
Quand Jeanne et Louis se marient, mon grand-père Pierrot, quant à lui, est déjà marié depuis presque six mois et le ventre de Jeanne Berthe Chandellier, sa femme, doit commencer à s'arrondir puisque Ernest Pierre, mon père, naîtra trois mois plus tard, au début de novembre de la même année.
Le fils de Jeanne. En 1911, le recensement nous indique que le couple formé par Jeanne et Louis vit dans une maison située route de Mézidon-à-Falaise à Ernes. Louis est alors ouvrier jardinier chez divers patrons. Jeanne, quant à elle, se dit domestique agricole, mais n'a pas de travail lors du passage de l'agent recenseur. Un enfant nommé André Richer, sans doute un fils de Jeanne, vit avec le couple. Il est déclaré à l'agent recenseur comme étant né en 1907 à Vieux-Pont (lecture difficile), village situé à une dizaine de kilomètres à l'Est d'Ernes, après Saint-Pierre-sur-Dives. Des recherches un peu compliquées (*) nous apprennent finalement que Maurice André Richer a été déclaré le 11 août 1907 à l'état-civil de Mittois et reconnu le 29 août. Mittois est un village voisin de Vieux-Pont et surtout de Boissey où vivait la famille de Jeanne. De Mittois à Ernes, la distance est tout de même proche de deux lieues et demie (*). Si Jeanne vivait bien à Mittois en 1907, sa rencontre avec Louis a pu avoir lieu à Saint-Pierre-sur-Dives, ville de marché, à mi-chemin entre Ernes et Mittois.
Au moment où j'écris, je n'ai pas trouvé la naissance d'un enfant que Louis Louvel et Jeanne Richer auraient eu ensemble.
Les choses se gâtent.
La page suivante décrit le parcours militaire de Louis en 1914 entre Falaise et Le Godat.
Mobilisation.
Comme son cousin Pierrot, Louis est rappelé à l'activité par le décret de Mobilisation Générale du 1er août 1914. Louis, probablement extrait de la Maison d'arrêt de Falaise où il purge les 3 mois d'incarcération auxquels il a été condamné en juillet, arrive au corps le 12 août. Le soldat de 2ème classe Louis Louvel est incorporé au 5ème Régiment d'Infanterie (5ème R.I.) à la caserne Dumont-d'urville à Falaise. C'est une caserne qu'il connaît déjà, puisque c'est là qu'il a effectué ses périodes de réserve militaire en 1908 et 1912. Lorsqu'il y arrive, cette fois, la caserne est très probablement quasiment vide puisque le régiment a quitté Falaise en train depuis le 5 août. Tous comptes faits, la situation est plutôt plus confortable que lorsque Louis était en maison d'arrêt.
Le 5ème Régiment d'Infanterie. Depuis le 7 août et son débarquement en gare d'Amagne, au sud de Charleville-Mézières, le 5ème R.I. a fait du chemin... D'abord cantonné en 2ème ligne autour de Singly et Villers-le-Tilleul, à mi-chemin entre Reims et la frontière belge, il a fait mouvement jusqu'à Momignies, près de Fourmies, en Belgique. Quittant ce deuxième cantonnement, le 5ème R.I. a ensuite marché sur Nalinnes où il a été engagé dans la bataille de Charleroi à partir du 22 août. Comme le reste des troupes française, le 5ème R.I. s'est replié vers le Sud tout en résistant aux attaques des allemands, jusqu'à ce que, à partir du 3 septembre, le Général Joffre ordonne la contre-offensive. Le régiment est alors engagé dans la première bataille de la Marne.
Envoyé au front. Les soldats sont mobilisés pour aller combattre les allemands, Louis comme les autres, mais sa situation particulière explique que ce n'est finalement que le 5 septembre qu'il part aussi "aux armées" (*). Il n'est pas le seul dans ce cas puisqu'il appartient à un groupe de renfort de 380 hommes dont le régiment a d'ailleurs bien besoin au vu des pertes qu'il subit depuis son engagement dans la bataille de Chaleroi à partir du 22 août. Le groupe quitte la caserne et prend le train à la gare de Falaise pour rejoindre la zone des combats. Il y parvient deux jours plus tard, le 7 septembre.
Je n'ai pas trouvé de traces écrites du trajet en train depuis Falaise, mais il est sans doute plus direct que le trajet suivi par Louis Bouraine, un autre cousin de mon grand-père dont j'ai aussi raconté le parcours, et qui est tué quelques jours plus tard, le 12 septembre, à Thillois, dans la même zone de combats.
Terminus avant Reims. Il est probable que Louis et son groupe ont débarqué une dizaine de kilomètres avant Reims, à la gare de Jonchery-sur-Vesle, où le Quartier général de la 5ème armée était établi depuis le 1er septembre. Ensuite, il ne restait plus que 3 à 4 kilomètres à pieds jusqu'au cantonnement situé au Nord de la gare, à Pévy, lieu où le groupe devra attendre un moment propice à son incorporation au 5ème R.I. Ils sont de la chair à canon, mais ils ne le savent pas encore.
On peut déjà révéler que Louis n'entendra pas raconter l'exploit de l'aviateur français qui, le 5 octobre, après un combat aérien épique dans le ciel à la limite entre Jonchery et Prouilly, abattit un avion allemand. L'Histoire a retenu que le pilote Joseph Frantz et l'observateur Louis Quénault, à bord de leur avion Voisin III, sont les héros du premier combat aérien de l'histoire mondiale de l'aviation.
En attente au dépôt. Le 5ème Régiment d’infanterie étant au contact de l’ennemi, le groupe de renfort doit attendre un moment favorable pour le rejoindre. Il est donc cantonné "au dépôt", à moins d'une heure et demie de marche du front, soit 6 ou 7 kilomètres. Cette période d'attente n'est cependant pas de tout repos puisque le cantonnement est soumis à des bombardements meurtriers qui provoquent la perte de 45 des hommes, blessés ou tués. Le groupe ne sera finalement incorporé que le 21 septembre à l’occasion d’une journée de repos du Régiment à Pévy. Comme déjà dit, avec plus de 30% de perte, le régiment a fort besoin de ces renforts. Ses effectifs, de 3350 au départ, sont tombés à 2117 en comptant les nouveaux arrivants. Le repos est de courte durée. Dès le 22 septembre, la compagnie à laquelle Louis a été affecté est désignée pour occuper la Ferme du Godat et les positions attenantes. "Tu vas voir, ça barde là-bas" lui disent les anciens. Des détails peuvent être lus dans la transcription du Journal de Marche et des Opérations du Régiment, deux pages plus loin.
Ça barde au Godat ! La série de photographies ci-dessous a été prise sur le front, au lieu dit le Godat, pour la plupart entre novembre 1914 et avril 2015, donc peu après la mort de Louis, ou, pour quelques unes, en 1917, lors de la seconde bataille de la Marne. Ces vues réelles illustrent ce que les soldats ont dû subir et endurer pendant seulement quelques jours pour Louis, mais pendant des semaines, des mois, voire des années pour les autres... Les photos ont été collectées sur le Net dans des sites personnels ou dans des forums (*). NB si le défilement automatique des photos s'est arrêté, vous pouvez le relancer avec la barre de commandes située en haut de l'image (elle apparaît quand on passe le curseur dessus).
Pour copier une photo arrêter le défilement auto [o] puis utiliser le bouton droit de la souris ...
©Jacques Louvel 2010-2023
Fin de l'histoire. L'histoire de Louis se termine rapidement et dramatiquement. Il est porté disparu à peine 4 jours après le retour du Régiment sur le front, le 26 septembre 1914 dans la zone du Godat au Nord-Est de Cauroy-lès-Hermonville. Voici ce que porte sa fiche dans les archives de l'armée :
Corps : 5e Régiment d’infanterie.
No Matricule :
15764 au corps – Cl 1903.
25 au recrutement à Falaise
Mort pour la France le 26 septembre 1914 au Godat Cauroy-lès-Hermonville (Marne)
Genre de mort : tué
Disparu
Né le 10 mai 1883
à Ernes Département Calvados.
Jugement rendu le 20 avril 1921
par le Tribunal de Falaise
Jugement transcrit le 4 mai 1921.
à Ernes (Calvados)
Ne manquez pas la page suivante qui affiche quelques cartes, plans et photographies des lieux, modernes et anciennes. Suite : cliquer sur 4.
Lectures conseillées :
• le journal de Vincent Martin, soldat au 119ème R.I. (ex http://119ri.pagesperso-orange.fr/Fantassins/Martin/journalmartin.html)
• Le Journal de campagne d'Albert Ghys, du 127e régiment d'infanterie.
• Historique de la compagnie 3/2 durant la campagne 1914-1918 (site Gallica, BNF).
• Cartes postales satiriques pendant la 1ère guerre mondiale.
Lieu dit "Le Godat", à Cauroy-lès-Hermonville, Marne (rond clair). Vue aérienne actuelle sur le site Geoportail de l’Institut Géographique National. On y arrive par le "Chemin du Godat" qui part de Cauroy (en bas à gauche, au quart de l’image) vers le Nord. La bande boisée du canal de l'Aisne à la Marne traverse en ondulant la photo du bas à droite vers le haut à gauche. Juste sous le rond marquant Le Godat (ou Le Godard, Le Gaudart), on distingue l’écluse du même nom. Bien sûr l'autoroute, qui traverse la photo quasiment Nord-Sud, est bien postérieure aux événements dont on parle. Par là, quelque part autour du rond clair, se trouvent les restes du disparu Louis Robert Adrien Louvel. Aucune croix ne porte son nom parmi les plus de 14000 de la Nécropole Nationale de la Maison Bleue à Cormicy (rectangle gris foncé à gauche de la zone blanche en haut de l’image), à moins qu'une des croix portant la mention "inconnu" lui corresponde ?
Une portion de la carte d'Etat-Major établie vers 1866 est plus proche de la réalité de l'époque et permet une meilleure interprétation de la photographie aérienne.
Rien ne vaut une photographie aérienne. Nous en avons une d'époque ! La photo suivante montre une vue commentée prise depuis l'Est en direction de l'Ouest. La route nationale 44 qui va de Reims à Laon traverse la photo de gauche à droite. Le Godat est repéré à peu près au milieu. On distingue nettement les zones boisées. La photo a été prise en septembre 1914 (source : historique IR55, in Forum "Pages 14-18").
La situation réelle sur le terrain est mieux comprise si on examine les plans dressés au moment des combats. Sur le plan ci-dessous, le tracé rectiligne du canal est une approximation. Il s'agit d'un relevé fait sur le terrain pendant les opérations. Les plans suivants sont tous de la fin 1914 ou début 1915 et révèlent les variations permanentes des positions.
Quelques vues actuelles du Godat.
Vue de l’écluse du Godat (Godart ou Gaudart) : le bâtiment blanc à l’horizon, au centre, devant la ligne d’arbres bordant le canal de l’Aisne à la Marne. La vue est prise depuis la route nationale 44 (aujourd’hui D944) près du monument belge commémorant la bataille de la Marne (à droite). D'après la photographie aérienne montrée plus haut, il y avait un bois sur la gauche à la place de ce qui est un champ en 2014.
Les photographies colorées ci-dessus, d'allure paisible et agréables à regarder, sont trompeuses et ne représentent en rien ce que les soldats, et Louis en particulier, ont pu connaître. Les images qui suivent, prises par un soldat du 39eRI entre septembre 1914 et avril 1915 dans les tranchées du côté de la ferme du Luxembourg (voir les plans plus haut) sont plus représentatives. Elles proviennent d'une publication, postée le 8 juillet 2012 sous le pseudonyme "france51", dans le forum "Pages 14-18". Je les ai converties en N&B et traitées. J'ai aussi déplacé l'inscription "Coll. France" dans le coin inférieur droit (*)
Nécropole Nationale de la Maison Bleue à Cormicy (Marne). Regroupant plusieurs cimetières locaux, elle contient 14391 corps (de normands et de parisiens principalement)
Monument aux morts de 1914-1918 à Ernes. Louis Louvel et Victor Marie, son beau-frère, figurent au bas de la liste pour 1914.
Références (voir aussi les Lectures conseillées, page précédente) :
• un historique de la bataille de la Marne au CRDP de Reims (site supprimé, remplacé par le site Canopé).
• Les site Memorial-GenWeb et Mémoire-des-Hommes (SGA)
• Le Journal des Marches et des Opérations du 5ème Régiment d'Infanterie
La page suivante montre une transcription partielle du JMO (Journal des Marches et des Opérations) du 5ème Régiment d'Infanterie auquel appartenait Louis, autour du 26 septembre 1914, date de sa disparition. Les pages 6 à 8 présentent des copies des originaux des pages du JMO à retrouver en intégralité sur le site Mémoire des Hommes du Ministère de la Défense.
Journal des Marches et des Opérations du 5ème Régiment d'Infanterie. Tout d'abord une transcription des pages du journal pour les journées du 21 et 22 septembre 1914, au cours desquelles Louis rejoint son Régiment, la journée du 25, et celle du 26 septembre 1914, au cours de laquelle Louis Robert Adrien Louvel est porté disparu.
21 septembre. Le Régt est relevé à 21H par le 71e d’Inf.ie. Les emplacements sont occupés dans les conditions indiquées par le G.al cdt la 12e B.de. La relève complète terminée, les consignes passées, les Btns se rassemblent aux points suivants : 2e Btn - Rive SO du canal à hauteur du pont / 3e Btn - Chemin de Cauroy (tête à la route nationale) / 4e Btn - Id. (queue à 500m de la Maison Blanche)
Le Rgt se met en route pour le cantonnement qui lui est assigné : Pévy, où il arrive vers 4h40. Aucun incident à signaler. Le Rgt a ramené ses blessés, malades et son matériel (sauf 2 blessés laissés aux soins du 71e pour être évacués). Après quelques heures de repos la journée est employée aux divers travaux de propreté et à la réorganisation des unités.
Le Rgt reçoit 380 hommes du dépôt [NDLR groupe de Louis Louvel] commandés par le Capitaine Escudier et le Ss Lieutenant Niriart. Ce détachement arrivé le x7 et qui n'a pu être incorporé en raison du contact avec l'ennemi a perdu 45 hommes dont 12 tués par suite du feu de l'artillerie.
Il a perdu 4 officiers tués
Lieutenant Busson et s/Lt Chiffemann
Chefs de Btn Charpentier et Toupard.
Capitaines Milliard - Bleuset - Gervais et Tartrat.
Lieutenants Roubeix - Rouyer et Soleilhac (Chef de musique Tilly)
Tués : | 86 (1) |
Blessés : | 755 |
Disparus : | 191 |
1032 |
Le Rgt est reconstitué de la manière suivante :
Les Cies 2-6-12 sont réduites à une unité et les Btns sont formés à ... L'effectif du Rgt en s/officiers et hommes de troupe est de 2117.
À 18h le Regt reçoit l'ordre de venir occuper le Godat avec 2 Btns laissant un Btn à Cauroy (2 Cies) et la Maison Blanche (1 Cie)
Le service est organisé de la manière suivante :
3e Btn (2 Cies à Cauroy qui relèveront le 28e d'Inf.ie installé dans les tranchées du secteur de Cauroy. Ces éléments prennent contact avec le 28e à la sortie E de Cauroy. (chemin du cimetière)
1 Cie du 3e Btn tient la Maison Blanche et ses abords ayant pour mission d'assurer les débouchés de Le Godat et de parer à toute attaque venant de la direction de La Neuville et de la Passerelle
2e Btn - 1 Cie (8e) en avant de Le Godat sur la route de la ci... aux tranchées précédemment occupées par les 5e - 6e - 8e Cies
1 Cie (7e) à l'emplacement occupé précédemment
1 Cie (5e) en liaison avec le 251e à l'emplacement qu'occupait le 1er Btn.
1 Cie (1ère) à l'écluse où elle remplace le 71e.
Les 2 autres Cies à droite de la route dans les tranchées faisant face.
Les emplacements sont pris à 21H1/2 et le 71e quitte Le Godat à 23H.
Suivant les ordres du Gal Cdt la D.I. des postes d'écoute sont établis dans les directions cote 100 et ferme Ste Marie; Ils sont suivis d'une reconnaissance qui permettra l'occupation avant le lever du jour, par une Cie, de chacun de ces points, si les renseignements sont favorables.
Poste de commandement : Maison dite du Téléphone.
[...] 25 septembre. Nuit passée sans incident. La lisière N.E. du bois est réoccupée dès la pointe du jour par les 2 C.ies chargées de la tenir.
L'augmentation de l'étendue du front amène à étudier l'organisation d'un service de surveillance pour la nuit qui ne dépasse pas la capacité de résistance des homme. Ces derniers, en effet, n'ont eu qu'une seule nuit de repos réel et abrité depuis 11 jours.
Le Rgt se maintient sur ses positions : quelques coups de feu sont échangés au cours de la journée.
À 17h, canonnade violente qui dure 2h1/2, suivie d'une attaque de nuit dirigée sur le front et sur le flanc droit du Rgt. Le Rgt résiste avec une ténacité et une opiniâtreté remarquables allant même jusqu'au sacrifice grâce aux admirables qualités de sang froid et d'énergie du Capitaine Ribeyre qui a pris le commandement du Rgt après la mort du Lt Colonel Bouteloup, vers 3h du matin, et des quelques officiers restant.
Le Capitaine Ribeyre est grièvement blessé vers 6h et le commandement du Rgt est pris par le Cap.ne Deffaux.
26 septembre. Le Rgt a pu faire face aux retours offensifs sur notre droite de l'Inf.ie ennemie malgré des pertes énormes en officiers et hommes de troupe.
Une accalmie se produit vers 8 heures.
Les éléments d'Inf.ie ennemie qui peuplaient encore au petit jour les boqueteaux environnant le Godat se retirent sur la Ferme Ste Marie où sont tués ou faits prisonniers des patrouilles occupant le bois du Godat et les tranchées situées à environ 800 m à l'E. du Godat.
L'artillerie ennemie, de la Ferme Ste Marie, tire assez régulièrement sur nous. À 12h l'ennemi occupe la lisière des Bois N.E. du Godat et sensiblement la ligne de tranchées protégeant à l'O. cette lisière.
À 13h une attaque d'Inf.ie allemande dont l'importance ne peut être évaluée, s'avance du canal vers la ferme du Luxembourg entre le 5e et le 119e. 2 C.ies de la réserve du 5e sont envoyées pour renforcer le front.
À la nuit, des postes d'écoute sont établis sur l'ordre du Gal de Bde pour assurer la surveillance en avant et aussi loin que possible afin d'éviter toute surprise, une nouvelle attaque de nuit étant imminente.
Le chef de Bt Le Beurier du 233e de ligne prend le commandement provisoire du Rgt à 16h30 en remplacement du Lt Colonel Bouteloup.
28 septembre. Les pertes éprouvées par le Rgt pendant la période du 23 au 27 septembre se décomposent comme suit :
2 officiers tués : Lt Colonel Bouteloup - Ss Lt Arboux
7 officiers blessés : Capitaine Ribeyre - Lts Demougin, Aubril, Patissier - Ss Lts Godard, de Brémont, Balgeau
27 hommes de troupe tués dont 7 sous-officiers
169 hommes de troupe blessés dont 17 sous-officiers
233 hommes de troupe disparus dont 2 sous-officiers
4 hommes de troupe prisonniers
Total : 433 hommes de troupe dont 26 sous-officiers.
Pages suivantes : copie des pages originales du JMO, journées du 25 au 28 septembre 1914 ( journal à retrouver en intégralité sur le site Mémoire des Hommes du Ministère de la Défense).
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2 commentaires
Comme Louis Louvel, mon grand-père, Paul Reuss, fut incorporé au 5ème Régiment d’Infanterie (5ème R.I.) à la caserne Dumont-d’Urville à Falaise et fut considéré comme disparu dans le no man’sland autour du pont du Godat, le 26 septembre 1914.
••• Voici quelques courts extraits des nombreuses lettres que Paul Reuss (5ème R.I., 7° compagnie), écrivit à ma grand-mère, Marguerite Reuss-Cadier, (et qu’elle reçut, en fait, bien après le 26 septembre).
4 septembre 1914 : « ….nous entendons tout à coup siffler les balles autour de nous. Chacun cherche un abri….tiré mon premier coup de feu contre un ennemi invisible dans un bois…».
7 septembre 1914 : « Deux corps d’armée français se battent en avant et nous sommes en réserve, ce qui permet de se reposer un peu…Les allemands continuent à reculer. L’entrain revient parmi nous malgré l’absence de vivre….».
10 septembre 1914 : «…Des obus d’une batterie allemande tuent quelques-uns des nôtres à l’avant garde. Nous traversons la Marne sans encombre et avançons très prudemment….».
18 septembre 1914 : « Tous les jours la mort fauche impitoyablement dans nos rangs et nul ne peut savoir quand son heure sera venue…».
25 septembre 1914 : « Depuis 10 jours, nous sommes ici, en face de l’ennemi, couchés dans des tranchées plus ou moins abrités….On se fait très bien au danger et on ne s’inquiète presque plus des éclats d’obus quand par hasard ils viennent à tomber près de nous…Mes chaussures commencent à se déchirer et à faire eau ce qui est bien ennuyeux ; mais si la campagne ne se prolonge pas trop longtemps je ne serai pas obligé de marcher pieds nus….».
Mais finalement le cadavre de Paul Reuss fut retrouvé dans le no man’s land, puis authentifié, Si bien que sur sa fiche de décès, du 22 août 1918, on peut lire “tué à l’ennemi” et non “disparu” et qu’une croix de la Nécropole Nationale de la Maison Bleue à Cormicy porte son nom avec le numéro 131.
••• Voici des extraits d’un article ancien qui pourrait apporter des précisions sur les circonstances des morts de Louis Louvel et de Paul Reuss.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6528898x/texteBrut
Titre : Les Combats du Godat. Pages d’histoire de la 12e brigade. Préface du colonel Jacques Renié
Auteur : Bouvier Henri.
Éditeur : Berger-Levrault (Nancy)
Date d’édition : 1925
«… Quand on parle du Godat à ceux qui ont combattu là en 1914, on comprend que l’émotion la plus forte de cette bataille, celle qui leur laissa le souvenir le plus vivace et le plus pathétique, ils l’ont vécue dans la nuit du 25 au 26 septembre 1914. La lutte atteignit à ce moment-là son maximum d’intensité, et ce fut une lutte terrible, dans le désordre de la nuit noire, où l’on s’entretua à tâtons. »
Au sujet du soir du 25 septembre 1914:
«….dans la maison d’habitation de la ferme du Godât, à quelques mètres des tranchées de première ligne.
… un vacarme indescriptible produit par une fusillade intense au milieu de laquelle on entendait des cris de toutes sortes.
Les Allemands, en colonnes serrées, cherchaient, par une attaque de nuit, à s’emparer du pont du Godat et à rejeter le 5e R. I. sur la rive ouest, ce qu’ils n’avaient pu faire dans dix attaques de jour.
Nos postes d’écoute, submergés, avaient à peine pu donner l’alarme, et les colonnes ennemies, poussant de formidables hourrahs, s’étaient précipitées la baïonnette basse sur nos fantassins épuisés de fatigue.
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Cependant le combat se poursuivait de tous côtés dans un grand désordre causé par la surprise, la nuit très noire et la difficulté de coordonner les efforts. C’est alors que les initiatives individuelles dirigèrent l’action dans ce corps à corps sanglant où se révélèrent les magnifiques qualités que des chefs tels que le général Lavisse et le lieutenant-colonel Bouteloup avaient su développer dans le cœur de leurs soldats.
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Malgré la cohue, malgré l’émoi, malgré les cris terribles qui dominaient le bruit et affolaient les têtes, il y eut des prodiges de valeur tels que l’ennemi, malgré sa supériorité numérique, ne put aboutir dans ses projets.
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De-ci, de-là, des poignées d’hommes groupés autour de chefs énergiques tinrent tête à l’ennemi, brisant son effort et le forçant à refluer. C’est ainsi que l’adjudant-chef Desrives, avec quelques servants, installa sa mitrailleuse près de la route du Godat et faucha sans arrêt les vagues renouvelées des assaillants.
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Nos pertes furent lourdes, certes, mais l’ardeur des nôtres fut si grande, et si grandes aussi leur bravoure et leur opiniâtreté, que la brigade bavaroise, en se retirant laissa……
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la ferme n’est pas reconstruite après la guerre (le pont sur le canal non plus). ».
••• Voici un article actuel, qui me parait intéressant, sur la “psychologie du fantassin", par le spécialiste militaire bien connu, Michel Goya.
https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2003-1-page-81.htm
Jean Daniel Reuss, petit-fils de Paul Reuss
Merci Jean Daniel pour toutes ces informations passionnantes. Nos deux anciens se sont côtoyés, ont été tués ensemble et cela nous rapproche plus de cent ans après… Je n’ai pas eu votre chance d’avoir des lettres écrites par le cousin Louis sur lesquelles j’aurais pu appuyer mon récit. Je vous envie. Si vous avez publié vos informations de votre côté, n’hésitez pas à nous donner le lien ici.
Cordialement, Jacques
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