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Les académies veulent établir une censure
À propos de la publication par "six académies" d'un "avis ... sur la publication récente de G.E. Séralini et al. sur la toxicité d’un OGM". Mazette, six académies d'un coup ! Il faut que la brèche à combler soit d'importance... C'est la mobilisation générale ! Allez, les académiciens, serrez les rangs ! De toutes façons vous ne risquez rien d'autre que le ridicule.
En préambule, je souhaite remarquer qu'il me semble très improbable que ces académies aient pu toutes se réunir dans un délai aussi bref. Nous sommes donc face à une réaction dans l'urgence de quelques membres influents. La prochaine réunion inter-académies est d'ailleurs prévue le 21/11/2012, c'est à dire dans un mois au moment où j'écris ce billet, mais sur un tout autre sujet (Colloque inter-académique sur la résistance aux antibiotiques, les documents l'attesant ont été supprimés du Net).
J'ai lu en détail l'article de Séralini et al. (clic) ainsi que le communiqué inter-académies qui le dénigre et voici ce que j'en retiens (en reprenant l'ordre du texte et les titres des paragraphes de l'avis des académies). Le lecteur indulgent voudra bien excuser la longueur de mon article, mon épanchement étant à la mesure de mon agacement.
Statistique et méthodologie
Les critiques sur la statistique et la méthodologie s'appliqueraient à la plupart des articles scientifiques actuellement publiés. Nos académiciens disent : "il aurait fallu utiliser un nombre d’animaux bien plus important". Il est vrai que l'idéal serait de faire les études sur un nombre très grand d'animaux. Mais les directives européennes disent le contraire ! Les comités d'éthique pour la recherche sur les animaux veillent au respect du principe des 3R (qui devrait se dire SRA en français) : Supprimer, Réduire, Améliorer. Vous avez bien compris. Il s'agit bien de *supprimer* ou sinon *réduire* l'expérimentation animale. À défaut de pouvoir appliquer une de ces deux mesures drastiques, on s'efforcera d'améliorer les conditions de l'animal. Apparemment nos académiciens, qui ne sont pas aussi proches de la recherche qu'ils le prétendent (ce sont leurs élèves ou leurs personnels qui travaillent), ont scotomisé cet aspect ? Multipliez la photo de gauche par 20 pour avoir une idée du nombre d'animaux utilisés par l'étude Séralini.
Concernant l'analyse des résultats, que veulent dire les académies quand elles parlent d'analyse "statistique conventionnelle" ! Il y a des tests statistiques adaptés au nombre des échantillons et aux diverses conditions expérimentales. L'analyse statistique d'une expérience comportant plusieurs groupes ne peut pas être faite avec un test "conventionnel". Ou alors le mot "conventionnel" est employé dans un sens spécial aux académies ?
Concernant la critique du choix de la souche d'animaux utilisée, nos chères académies assènent : "le choix de la souche de rats Sprague-Dawley est particulièrement malheureux. Cette souche de rats présente spontanément un taux élevé de tumeurs". Je rejoins ceux qui ont déjà fait remarquer que la souche SD est largement utilisée dans de nombreuses études et que c'est justement cette "universalité" qui fait son intérêt. Je précise que j'ai moi-même travaillé avec des rats de cette souche et particulièrement des "vieux rats" (plus de 20 mois) et que même s'il est vrai que certains animaux étaient en fin de vie porteurs de tumeurs, notamment mammaires, je n'ai jamais vu des tumeurs de l'importance de celles observées dans l'étude du Dr Séralini et collaborateurs. Il me semble que l'argument selon lequel une prédisposition aux tumeurs invaliderait le modèle n'est pas recevable. Ce serait nier qu'il existe aussi chez les humains des prédispositions similaires et qu'il est intéressant d'avoir des informations sur l'effet de l'OGM concerné et du pesticide associé sur ces personnes. Pour satisfaire les contempteurs du travail en question je propose qu'on utilise une souche de rats résultant du croisement de ceux qui ont survécu dans le voisinage de Tchernobyl avec des rats de la région de Bhopal en Inde acclimatés dans les régions du Viet-Nam bombardées avec l'agent orange. Une étude vraiment internationale sur des animaux résistant à tout. :)
Autres remarques
Les six académies réunies (?) ajoutent "Plusieurs autres réserves peuvent être formulées". Ce sont donc des "réserves", pas des critiques, et elles sont vraiment mineures. Elles ne permettent en aucun cas de provoquer le rejet, par les experts qui l'ont examiné selon les règles en vigueur dans la communauté scientifique (à laquelle l'avis se réfère d'ailleurs), de l'article soumis par le Dr Séralini. Les académies voudraient-elles remettre en cause la qualification des experts en question et l'indépendance des comités éditoriaux ?
Voilà. c'est tout. Fin des arguments "scientifiques" des académies. La qualité scientifique de l'étude Séralini est "discutée" en 2 pages, qui me semblent du niveau d'un mémoire de licence (*). Les 3 pages restantes contiennent essentiellement et clairement des attaques qui prennent pour acquis que le travail du Dr Séralini ne vaut rien et qui le répètent jusqu'à la nausée. (*) J'avais d'abord écrit "master", mais j'ai lu des mémoires de master meilleurs que ça.
Conséquences de l'article sur la société. Je cite : "L’orchestration de la notoriété d’un scientifique ou d’une équipe constitue une faute grave lorsqu’elle concourt à répandre auprès du grand public des peurs ne reposant sur aucune conclusion établie." (c'est moi qui souligne).
Aspects déontologiques et éthiques.. Je relève juste : "Outre le jugement sur le fond du contenu de l’article évoqué plus haut, la forme de la communication soulève de nombreuses interrogations, notamment la concomitance de la sortie de deux livres, d’un film et d’un article scientifique [...]". Dans ma pratique personnelle, je n'ai jamais entendu qu'un article *accepté par un comité de lecture* ne puisse pas donner lieu à d'autres formes de "publicité". La seule restriction concerne le respect des droits transférés à l'éditeur (au sens français du terme) de la revue qui publie l'article original.
Interrogations concernant la publication de l’article dans la revue Food and Chemical Toxicology.. Là c'est purement et simplement du dénigrement non étayé. Je cite : "Nous savons tous que les meilleures revues publient un certain nombre, heureusement faible, d’articles médiocres voire inexacts." C'est toujours moi qui souligne. J'espère que le comité éditorial de la revue mise en cause va réagir. De quelles "meilleures revues" les académies parlent-elles ? Pas des "Comptes-rendus de l'académie des sciences", je suppose ? Oui, je sais, c'est bas de tirer sur une ambulance.
Conclusions et recommandations
J'admire une conclusion comme celle-ci : "Le problème n’est pas simple car l’échelle des temps, en particulier la durée de vie, n’est pas la même chez le Rat et chez l’Homme. Mais ce n’est pas la publication de cet article qui doit inciter à cette réflexion car il ne contient aucun élément probant.". Dois-je encore souligner le procédé qui consiste à répéter ce qui n'est pas démontré (la nullité du travail mis en cause) pour lui donner l'apparence d'un vérité ? Sinon, je reconnais que le constat sur les durées de vie est vraiment du niveau d'un académicien :) Mais si l'article du Dr Séralini ne doit pas inciter à réfléchir, que faut-il ? Est-il urgent de ne pas réfléchir et de ne rien entreprendre ?
Le meilleur pour la fin
je cite toujours : "les six académies recommandent la création auprès du Président du Conseil supérieur de l’audiovisuel d’un « Haut comité de la science et de la technologie ». La mission de ce Haut comité serait d’attirer l’attention du Président du CSA sur la médiatisation de travaux scientifiques remettant en cause des savoirs partagés par la très grande majorité de la communauté scientifique internationale sans que les responsables de chaînes de télévision ou de radios se soient auparavant assurés de leur validité [...]" et je traduis en français de tous les jours : les six académies recommandent l'établissement de la censure sur les informations scientifiques. Il ne serait plus possible de faire état de résultats qui ne seraient pas "partagés par la très grande majorité". Et ce seraient aux *responsables de chaînes de télévision ou de radio* de décider si un travail déjà publié par des revues internationales est valide ou pas ! Et pourquoi pas un ministère de l'information ? Les croulants des académies se croient encore sous De Gaulle ?
ARRRGH !
Mes conclusions
Cet avis des académies se place exactement sur le même plan médiatique qu'il voudrait reprocher à l'équipe du Dr Séralini. Il s'agit de la réaction orchestrée de tout un camp (qui défend quoi, au juste ?) pour discréditer les dires de l'autre camp. Mon "avis" personnel est que la publication de cet "avis des six académies" aura malheureusement un effet négatif sur l'influence que peuvent avoir ces institutions. Les français ne sont pas des imbéciles.
Pour terminer, j'assène le coup de pied de l'âne. Les membres de ces académies sont - pour ce que j'en connais - élus par cooptation. Quel meilleur moyen connaissez-vous pour se retrouver "entre-soi" ? Les académies sont donc par nature des structures conservatrices, sous la "protection" des autorités, donc pas vraiment indépendantes quand on voit ce que le lobbying peut faire auprès de nos élus :(( D'ailleurs je m'interroge sur qui a écrit le texte de cet "Avis des académies nationales". Journalistes, faites votre boulot, puisque vous êtes mis en cause !
(NB j'ai supprimé la majuscule de académie; une majuscule ça se mérite).
PS : mon CV (cf. "Qui suis-je" en haut de cette page) atteste de ma légitimité à m'exprimer sur ce genre de question (36 ans de recherches en biologie au compteur). Notez que je ne suis PAS un "anti-OGM", je suis un scientifique qui réfléchit de façon vraiment indépendante.
Ajouté le 12/12/2018 : un lien vers un article du journal Le Monde qui revient sur "l'affaire Séralini". Je ne suis pas en accord complet avec le parti pris par l'auteur (Sylvestre Huet) mais je pense qu'il est juste de connaître son avis, exposé bien longuement mais pas sans intérêt. Il lui manque cependant une réflexion globale quant aux effets possibles sur la biodiversité de l'usage des OGM. Lire l'article : OGM-poisons ? La vraie fin de l’affaire Séralini (*)
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