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L'occultation de Vénus par la Lune en 1874
[La Nature, 1874 (2), pp. 351-352]
Je suis parvenu, malgré la lumière du soleil et les nuées blanches éblouissantes, qui balayaient le ciel an sud, à observer ce rare phénomène astronomique et à constater les phases d'immersion et d'émersion de la planète snr le limbe de l'astre lunaire.
La lune n'était qu'à son 4e jour, et n'offrait qu'un mince croissant à peine visible à l'est du soleil. Vénus offrait dans la lunette un croissant du même ordre que celui de la lune, un peu plus large relativement, très-visible et nettement dessiné dans le champ de l'instrument. L'observation a été faite avec une lunette de 4 pouces d'ouverture, munie d'un oculaire grossissant le moins possible(53 fois seulement).
Par suite du mouvement de la lune sur la sphère céleste, le disque de la planète, Vénus est arrivé en contact avec elle le 14 oclobre, à 3 h. 42 m. de l'après-midi. J'étais occupé à examiner ce léger et ravissant petit croissant de Vénus, lorsque soudain je le vis diminuer par son arc inférieur et se laisser manger graduellement par le bord obscur invisible de la lune s'avançant lentement entre lui et nous. La surprise fut si grande, quoique je m'attendisse à cette disparition, que je ne songeai pas à compter les secondes et que je me bornai à crier :
« Elle entre ! ». Les personnes qui un instant auparavant avaient admiré Vénus dans le ciel furent fort intéressées à ne plus l'y voir, sans qu'on aperçût le corps qui l'éclipsait, car c'est le côté non éclairé de la lune qui s'était avancé, et le ciel paraissait d'un bleu laiteux égal en intensité des deux côtés du croissant lunaire.
L'immersion s'est faite nettement sans que la plus légère pénombre ait décelé l'indice de la moindre atmosphère lunaire. Le disque lunaire invisible coupa successivement le croissant de Vénus dans le sens indiqué par nos dessins. Au dernier moment de l'immersion on ne voyait plus que la corne supérieure du croissant.
L'occultation dura 1 h. 14 m.; à 4 h. 56 m., une nouvelle éclaircie parut être arrivée juste à temps pour permettre aux astronomes de vérifier l'exactitude de leur prédiction. Vénus se montra comme un point lumineux sur le bord occidental du pâle croissant lunaire, et s'en dégagea peu à peu. Elle n'employa pas moins d'une demi-minute à sortir tout entière et à reparaître dans son intégrité . Ainsi juxta-posée à l'hémisphère lunaire éclairé, on pouvait facilement comparer sa lumière à celle de la lune et constater qu'elle est incomparablement plus forte. Cette énorme différence devint surtout très-sensible le soir vers six heures lorsqu'on put voir les deux astres à loeil nu.
Après avoir passé derrière la Lune, Vénus va bientôt passer devant le soleil. Par la combinaison des mouvements planétaires, la lune à elle seule aura produit pendant le mois d'octobre trois éclipses visibles à Paris : l'éclipse de soleil du 10, qui a été fort curieuse, l'éclipse de Vénus du 14, phénomène beaucoup plus rare, et l'éclipse totale de la lune du 25. Les admirateurs de la belle science du ciel n'auront pas manqué de sujets d'observation, sans compter Saturne qui brille actuellement et les nombreuses curiosités des constellations d'automne.
Camille Flammarion.
(1) Supposant sans doute que ce phénomène ne serait pas visible à Paris, l'Annuaire du bureau des longitudes ne l'a pas annoncé.
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