L'oncle Eugène qu'on appelait Albert
Le 15 Nov 2014 par Jac Lou • Réagir (3) » • ∞ Partage »"L'oncle Albert" c'est ainsi que les cousines et cousins de mon père le nommaient quand on parlait de lui. Il m'a fallu un temps non négligeable, passé en recherches, errements et erreurs d'interprétation, avant de réaliser que cet "Albert", auquel le cousin Louis Bouraine adresse un "Bonjour" dans le coin d'une carte envoyée en octobre 1913 à Pierrot, mon grand-père, et auquel le même Pierrot envoie une carte depuis sa lointaine Salonique en avril 1917, est en fait Eugène Émile Chandellier, le frère aîné de Jeanne Berthe Chandellier, ma grand-mère, femme du dit Pierrot.
Il faut dire que les papiers officiels font état de mon Albert uniquement avec les prénoms de Eugène et Émile. Cela explique que, moi qui ne connais que le "Eugène-des-papiers-officiels", j'aie eu quelques difficultés à découvrir qui est cet "Albert-des-cartes-postales". En revanche, grand-père Pierrot Louvel, lui, ne connaît son beau-frère que sous son prénom usuel, Albert. Ils ont en effet partagé quelques temps la vie quotidienne sous le même toit, trente-huit rue d'Argenteuil, à Bezons, quand Pierrot est venu travailler dans cette ville à la fin de 1909 et qu'il a épousé Jeanne Chandellier, la jeune soeur d'Albert, au tout début de 1910. Leur cohabitation a cependant été écourtée par le départ d'Albert au service militaire dès octobre 1910, conscription "universelle" oblige. Et à moins qu'Albert ait montré son livret militaire à Pierrot avant de partir, il est fort probable que ce dernier n'a pas su que son frère en loi était inscrit à l'état-civil avec les prénoms Eugène Émile. On comprend mieux comment l'entourage peut ignorer, ou finir par oublier, les prénoms des papiers quand on voit que deux fois sur trois, au cours des recensements de la population, des évènements pourtant tout ce qu'il y a d'officiels, les parents d'Eugène Émile font inscrire leur fils avec le prénom Albert !
1891 (route de Houilles) - 1896 (rue de Seine) - 1901 (rue des Bois)
En cette fin de dix-neuvième siècle, il est assez courant d'être connu sous un prénom qui ne soit pas un de ceux inscrits à l'état civil, ou alors inscrit en deuxième, voire en troisième, position. C'était également le cas de mon grand-père, connu de tous comme Pierrot Louvel, mais dont le premier prénom était Jules, révélation surprise pour les membres de la famille qui l'ont connu ou en ont entendu parler... Dans ce dernier cas toutefois, l'état-civil reconnaissait bien Pierre et Ernest comme prénoms additionnels. L'usage n'avait retenu que le deuxième. Concernant le choix du prénom usuel Albert pour le citoyen Eugène Émile, je n'ai pas trouvé d'explication, ni dans son propre état-civil, ni dans celui de ses ascendants ou leurs collatéraux. L'origine du prénom Albert est bien énigmatique.
Les parents d'Albert, Émile Eugène Chandellier et Victorine Berthe Poirson, se sont unis le sept février 1885 au Port-Marly, village de Seine-et-Oise qui compte à peine plus de neuf cents habitants lors du recensement de 1886, mais qui comporte un dépôt et une gare du tramway à vapeur Paris - Marly-le-Roi. Cette facilité d'accès depuis Paris explique sans doute que le village ait été une destination privilégiée pour les peintres à la fin du dix-neuvième siècle.
Émile Chandellier, le père d'Albert, est né à Versailles. Berthe Poirson, sa mère, née à Ivry-sur-Seine, habite quant à elle au Port-Marly, chez ses parents, depuis au moins le recensement de 1881 et jusqu'en 1886. Au moment du mariage, la famille de Berthe, c'est à dire son père Victor Poirson, son frère cadet Louis Victor, âgé de 17 ans, et sa belle-mère Louise Millischer, résident dans ce village, rue de Paris. La mère de Berthe, Marie Mélanie Maumy (ou Momi, selon les actes), originaire de Bouilly, un petit village du sud du Gâtinais, au nord-est d'Orléans, est décédée. Le père a refait sa vie avec Louise, née quant à elle en Alsace, région annexée par les allemands depuis les traités de Versailles et de Francfort au terme de la guerre de 1870. Un des agents recenseur écrit "originaire d'Allemagne", alors que les autres notent Haut-Rhin, probablement par fierté nationale, la revanche contre l'ennemi prussien étant dans presque tous les esprits - on en dira deux mots tout à l'heure.
Les jeunes mariés Émile et Berthe résident quelques temps, eux aussi, rue de Paris. Mais ils quittent assez vite Le Port-Marly pour s'installer au vingt-et-un rue de Traverse à Argenteuil, une ville en plein développement industriel, située à quelques kilomètres en amont du Port-Marly, sur la rive droite de la Seine. C'est là, dans leur maison, que naît le trente octobre 1889 au petit matin, après une nuit mémorable, leur premier enfant. Au grand plaisir du père, c'est un garçon. En début d'après-midi, Émile Eugène réunit un neveu et un voisin pour servir de témoins. On commence d'abord par boire un canon à la santé du nouveau né. La mission du nouveau père et de ses témoins est de faire la déclaration de naissance de l'enfant. Dans un village, le maire se serait peut-être déplacé pour constater la naissance, mais là, en ville, il en va autrement. Sous le contrôle inquiet de Berthe, on emmitoufle bien le bébé dans une couverture, car on est tout de même fin octobre, et les trois hommes se rendent ensemble à la mairie pour y présenter et déclarer l'enfant. Pour le choix des prénoms, ce n'est pas compliqué, le père se conforme à la tradition, son fils s'appellera comme lui Eugène et Émile. Rentré à la maison, Émile est bien sûr questionné sur le prénom qui a été donné à son fils et inscrit sur les registres. En entendant la réponse, Berthe ne dit rien, mais on voit bien qu'elle n'est pas ravie. "Ah, ça non !". Elle n'appellera son enfant, son petit prince, ni Eugène, ni Émile. Ces prénoms ne sont pas dignes d'un petit prince. Justement on parle beaucoup ces temps-ci d'un Prince, celui de Monaco, qui vient d'hériter du titre en septembre dernier et qui se remarie précisément en ce même jour du trente octobre avec la duchesse douairière de Richelieu, Alice Heine (*). Un mariage célébré à Paris et qui fait grand bruit, non pas seulement dans Landerneau, mais dans tous les journaux. Albert Ier de Monaco fait rêver et parler dans les chaumières. "Albert", voilà bien un prénom de prince ! Que son petit prince soit appelé Albert, cela plaît bien à Berthe. La coïncidence est trop belle. D’abord utilisée pour l’amusement, l’expression "mon petit Albert" pour désigner son enfant devient une habitude. Oubliés Eugène ou Émile, cet enfant sera appelé Albert. Énigme résolue.
L'année 1889 est celle de l'Exposition internationale, celle qui a vu naître aussi la tour Eiffel et qui se termine le lendemain, 31 octobre. La rue de Traverse est une petite rue située au cœur de la vieille ville et la tour n'y est pas visible. Cependant, il est plus que probable que, depuis leur arrivée à Argenteuil et malgré la grossesse avancée de Berthe, nos deux jeunes mariés aient profité de quelque beau dimanche de septembre pour se rendre sur les hauteurs d'Argenteuil au-dessus de la gare du chemin de fer, en face de Genevillier, ou plus loin, du côté de la Butte des Châtaigners, à la limite de Sannois, et admirer cette fameuse tour qui s'élève dans le ciel de Paris.
La rue de Traverse relie, à l'époque, la rue de la Corne et la rue de l'Hôtel-Dieu à la rue aux Vaches, comme on le voit sur le cadastre de 1820 (*). Aujourd'hui, seule la rue de l'Hôtel-Dieu subsiste, la rue de Traverse, disparue, se situant quelque part vers son extrémité NE à l'angle de la rue Ernest Bray (voir le plan d'Argenteuil ci-dessous). Le hasard veut que six ans plus tôt, les parents de Pierrot Louvel, futur beau-frère d'Albert, ont aussi habité quelques temps à deux pas de là, dans la Grande Rue, le temps que naisse Jeanne, la soeur aînée de Pierrot.
Argenteuil n'est qu'une étape. Dès 1891, on retrouve la famille dans la petite ville voisine, Bezons, qui connut peut-être, il y a bien longtemps, les amours discrètes d'Henri IV et Gabrielle d'Estrées et, là c'est certain, les chevauchées de ce roi et du suivant, Louis XIII, vers les chasses royales de Saint-Germain-en-Laye.
Bien qu'encore partiellement rurale, avec sa grosse ferme au pigeonnier dodu, Bezons est alors en forte expansion. Sa population va doubler en vingt ans. Bezons passe du gros village de 2500 habitants en 1891 à la petite ville de 3500 habitants en 1901 et 5000 en 1911. Les raisons de cette expansion rapide sont sans doute à chercher dans l'offre importante d'emplois pour les ouvriers proposée par les nombreuses entreprises industrielles installées à proximité du bord de Seine entre Bezons et Argenteuil. La famille Chandellier habite d'abord route de Houilles, aujourd'hui rue Émile Zola (surlignée en jaune sur le plan de Bezons d'époque ci-dessous). Au fil des années, on peut suivre les déplacements de la famille, au fur et à mesure qu'elle s'agrandit, entre le numéro un de la rue de Seine en 1896 (surlignée en vert), le numéro neuf de la rue des Bois en 1901 (surlignée en rose) et le numéro trente-huit de la rue d'Argenteuil, aujourd'hui rue Jean Jaurès, en 1906 et 1911 (surlignée en bleu). Ces adresses sont situées aux quatre coins de Bezons, mais se rapprochent au cours du temps de la zone d'emploi (cliquer sur l'image pour l'agrandir).
Quand la famille habite route de Houilles en 1891, elle vit à deux pas de la famille Bouraine dont le fils Louis est le héros malheureux d'un autre de mes récits familaux (*). Les Bouraine deviendront plus tard une famille alliée, lorsque la sœur d'Albert, Jeanne Chandellier, s'unira à Pierrot Louvel dont la mère est une Bouraine (*). Les parents auront peut-être des rapports de voisinage. Mais les enfants Albert et Louis n'auront pas d'interactions durant leur petite enfance. Les Chandellier ne demeurent que peu de temps route de Houilles et ils n'y sont déjà plus à la naissance de Louis Bouraine en 1892.
Cependant, à partir de 1898, quand Louis aura ses six ans, âge d'entrer à l'école primaire obligatoire, Albert, lui, aura neuf ans et, même si trois ans d'écart, c'est beaucoup aux âges qui sont les leurs, les enfants joueront, pendant les récréations, dans la même cour de l'école publique, au centre ville. Cette école sera évidemment désignée "École du centre" lorsque d'autres écoles seront construites dans les quartiers, dans les années 1930, pour suivre l'évolution démographique.
Albert a trois ans à la fin de 1892. La famille réside maintenant au numéro un de la rue de Seine, proche de la place du marché et de la place des fêtes. Le quartier, dominé par l'église, est animé, avec sa circulation, son marché, ses commerces, ses cafés et ses restaurants. Bien que situé au bord de Seine, donc à la limite sud de la petite ville, il représente, mieux que le quartier de la mairie, ce qu'il convient d'appeler le "centre ville". Au goût de certains, il est peut-être même un peu trop animé. Depuis le remplacement du bac par un pont au début du siècle, c'est en effet un carrefour par lequel passe tout ce qui se rend de Paris par la Porte Maillot, à Saint-Germain, à Maisons-Laffitte, à Pontoise ou à Argenteuil.
À la fin de l'année, Albert a vu, sans y prêter attention ou sans vraiment comprendre ce qui se passait, le ventre de Berthe, sa mère, s'arrondir. En février 1893 il doit être fier de devenir le "grand frère" de sa sœur Jeanne, ma grand-mère. C'est en tout cas ainsi qu'on lui présente l'évènement que constitue la naissance de ce nouveau membre de la famille avec lequel il doit désormais partager l'attention et l'affection de ses parents.
Trois ans plus tard, à la fin de 1895, c'est le début de la grande aventure de l'école pour Albert. Depuis le quai de Seine, il suffit d'emprunter la rue Villeneuve, face au pont, pour se rendre à l'école installée, comme il se doit, à côté de la mairie. Au début, sa maman l'accompagne. Ils font généralement le chemin en compagnie d'autres gamins de l'âge d'Albert, notamment Émile Jous, qui habite aussi quai de Seine, et Benjamin Ravit, le fils du restaurant "Le Robinson" sur l'île Saint-Martin - aujourd'hui rebaptisée "île fleurie". Il y a aussi les filles du même âge, Germaine Forest, Joséphine Lallement et Marcelle Plainchault, la fille du camionneur. En chemin, Julien Hérel qui demeure rue Villeneuve, se joint à la petite troupe. À l'école, quand la cloche sonne l'heure de la classe, c'est au total vingt-huit garçons de son âge qu'Albert y retrouve. Parmi "les grands" il y a aussi un certain Pierrot Louvel, mais il a onze ans et il ne s'intéresse pas aux petits qui débutent leur scolarité.
Il y a une dizaine d'années déjà que l'école est devenue obligatoire. On y entre à partir de six ans et on y reste jusqu'au moment où on décroche - ou pas - son certificat d'études primaire, à partir de onze ans pour les plus doués et pas plus tard que treize ans pour tout le monde.
À l'école et même à la maison, on apprend à lire avec "Le tour de la France par deux enfants", ouvrage déjà vendu à plus de quatre millions et demi d'exemplaires quand Albert entre à l'école. On y découvre le périple de deux enfants qui fuient la Lorraine occupée par les allemands après avoir promis à leur père mourant "nous demeurerons les enfants de la France [...] nous resterons Français, quelque peine qu'il faille souffrir pour cela". Ce livre est un des éléments qui assure la diffusion du sentiment qu'il faudra prendre une revanche sur l'ennemi allemand en récupérant les territoires confisqués après la défaite française de 1870.
Albert a huit ans, en 1897, quand naît son petit frère Marcel. Mais il n'aura pas l'occasion de tenir la main de Marcel sur le chemin de l'école comme il le fait avec sa sœur Jeanne à partir de 1899. En effet, Marcel n'aura pas encore six ans quand Albert aura ses treize ans et en aura fini avec l'école.
En 1901, Albert a onze ans et sa sœur Jeanne a huit ans. Toute la famille Chandellier a quitté la rue de Seine et s'est installée maintenant au numéro neuf de la rue des Bois, pas très loin du carrefour dit "La grâce de dieu" (*). Cest une rue poussiéreuse située à la limite de la zone urbaine de Bezons, bordée de jardins, de petits champs et qui, plus loin en allant vers Argenteuil, passe près des carrières que monsieur Lambert a fait creuser à Bezons (*). C'est qu'il a fallu trouver un logement qui permette d'héberger tout le monde. Car, après Marcel dont la naissance difficile en 1897 a inquiété les parents, Albert a eu un nouveau petit frère, Louis, né en 1899. Malheureusement le petit Louis est décédé le dix-sept août 1900, âgé de tout juste dix mois. Le dix-neuvième siècle finit mal chez les Chandellier. Au moment où ce drame familial se produit, cela fait déjà deux mois que Berthe est de nouveau enceinte. Elle attend un enfant de plus pour le début de cette année 1901. Ce sera Charles qui naîtra en ce premier printemps du vingtième siècle, le quatorze avril. Mais ces naissances ne sont pas les seuls éléments du problème de logement. Il faut loger également deux adultes supplémentaires.
En effet, le foyer héberge désormais la grand-mère paternelle d'Albert, Marie Anastasie Tripier, une femme âgée de soixante-cinq ans, veuve d'Eugène Chandellier depuis près de trente ans. Marie Anastasie exerçait jusque là le métier de blanchisseuse à Versailles. Sa santé n'est plus très bonne et elle ne peut plus rester seule. Elle est née hélas trop tôt ... Ce n'est qu'en 1910, le cinq avril, que sera votée la loi instaurant un régime des "retraites ouvrières et paysannes" à soixante-cinq ans, reposant sur la contribution des assurés, des employeurs et de l’État. Pour l'heure, la solidarité entre les générations est la seule solution envisageable pour palier la perte d'autonomie liée à la vieillesse. C'est dans ce même esprit de solidarité que papa Émile, en bon chef de famille, a également pris sous son toit Julie (Adélaïde) Chandellier, sa tante âgée de soixante-quinze ans, dont les compétences de couturière rendent toutefois service à tous.
En 1903, la fin de l'année scolaire coïncide avec un évènement sportif encore jamais vu, le Tour de France à vélo. C'est une épreuve folle de 2428 km en seulement six étapes ! Sur les quatre-vingt engagés seuls vingt-et-un seront à l'arrivée. Albert aura quitté l'école après une scolarité honorable. Cette réussite sera confirmée par la mention "Degré d'instruction générale 3" dans son registre militaire, ce qui signifie qu'il a atteint le niveau du certificat d'études primaires. La fin de l'école signifie aussi la fin de l'enfance. Albert doit travailler. Comme la plupart des enfants il sera apprenti, payé encore moins que les femmes, dans l'entreprise qui voudra bien l'accueillir. Ce sera l'usine où travaille son père...
En 1904, Berthe, la maman d'Albert, est enceinte une nouvelle fois. Elle doit subir, tout comme son mari, les attitudes réprobatrices des deux vieilles femmes de la maisonnée. La famille n'avait pas "besoin" d'un autre enfant... La petite Jeanne reprendra ce reproche à son compte, cinquante ans plus tard, quand son fils unique, mon père, lui rendra visite avec son dernier né. À la fin de l'année, en novembre, ce cinquième enfant qui arrive dans la famille est une nouvelle petite sœur d'Albert. Maman Berthe, a déjà bientôt trente neuf ans. Cette fille nouvelle née sera la dernière. Elle sera celle que mon père, surnommé le "petit Pierrot" pour le distinguer de son père Pierrot, appellera la "tante Hélène", une tante seulement six ans plus âgée, née la même année que l'acteur Jean Gabin.
Cette tante Hélène tiendra un temps, au cours des années 1940-1950, un café situé sur le boulevard Henri Barbusse à Satrouville, la route qui conduit de Bezons à Maisons-Laffitte. Ce café était aussi, le dimanche, une sorte de guinguette, appelée "la Libellule", où les jeunes gens venaient danser. Le neveu de tante Hélène, Charles Chandellier, pointait les billets à l'entrée entre 1943 à 1953 (*). Victime d'un revers de fortune, tante Hélène sera aussi hébergée peu de temps dans une petite dépendance de la maison dont son neveu Pierrot Louvel - mon père - héritera de sa mère Jeanne Chandellier au début des années 1950.
En attendant, en 1904, Albert, qui a quinze ans, commence à connaître la chanson. Il y a une bouche de plus à nourrir. Il va falloir travailler plus pour arrondir la paye.
et création d'une station de radiotélégraphie marine à Ouessant (*).
En 1905, Maurice Berteaux a fait voter une loi qui modifie considérablement les conditions du service militaire. En effet, la loi du 21 mars 1905 supprime le tirage au sort et instaure le service actif de deux ans pour tous - on le dit universel. C'est un changement important dans la vie de tous les jeunes hommes, car l'universalité ne concerne pas encore les femmes. Tous sont désormais égaux devant l'obligation militaire. Enfin presque, car il y aura toujours des pistonnés et des planqués prédisent les sceptiques. On se réjouit de ce progrès en oubliant qu'on prépare ainsi un contingent plus nombreux, propre à permettre de prendre une revanche contre l'ennemi allemand.
Cette année là, les habitants de Bezons sont nombreux à venir écouter le discours que prononce le populaire ministre de la guerre, Maurice Berteaux, lors de l'inauguration du buste de la République sur la place du même nom. Il n'est pas mal vu d'être patriote. Albert n'a pas encore seize ans; il doit se dire que ces préoccupations ne sont pas pour lui. Il a le temps de penser au service militaire auquel il ne sera soumis que dans plus de quatre ans. Ces choses trop sérieuses seront pour plus tard. On n'est pas sérieux quand on a (pas encore) dix-sept ans.
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. - Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! - On va sous les tilleuls verts de la promenade. Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin - A des parfums de vigne et des parfums de bière.... - Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon D'azur sombre, encadré d'une petite branche, Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche... Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague ; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête.... Le coeur fou Robinsonne à travers les romans, Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants, Sous l'ombre du faux col effrayant de son père... Et, comme elle vous trouve immensément naïf, Tout en faisant trotter ses petites bottines, Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif.... - Sur vos lèvres alors meurent les cavatines... Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août. Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire. Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût. - Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...! - Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade.. - On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade. 29 sept. 70 Arthur Rimbaud
En 1906, la famille a déménagé encore une fois pour s'établir au trente-huit rue d'Argenteuil, toujours à Bezons. Le quartier, plus proche de la Seine et des usines, est animé et cela contraste avec la tranquillité relative de la rue des Bois et de ses jardins. La rue d'Argenteuil a été en travaux pour permettre le passage du tramway et cela a engendré beaucoup de nuisances. C'est dans cette rue également que s'ouvrent les portes de la "Compagnie des Téléphones". La rue réunit toute la modernité de ce début de vingtième siècle !
Bon, c'est vrai, tout n'est pas positif. Outre le bruit et les fumées du tramway tracté dans les premiers temps par des machines à vapeur, les habitants doivent supporter une odeur de soufre liée à la nature des travaux de cette Compagnie des Téléphones. Car en fait cette compagnie, ou plus exactement cette "Société Industrielle des Téléphones" (SIT), qui a absorbé, à partir de 1893, l'ancienne manufacture de caoutchouc Rattier-Menier (le Menier des chocolats), fabrique toujours des chaussures en caoutchouc à côté des câbles électriques, isolés eux-aussi par ce matériau. Le soufre est utilisé pour rendre le caoutchouc plus tenace et plus élastique dans un atelier de vulcanisation par la vapeur sèche. La SIT fabrique le reste des appareillages téléphoniques à Gennevilliers, de l'autre côté de la Seine. La compagnie sera reprise dans les années 1930 par la société des "Câbles de Lyon".
Albert, qui a déjà dix-sept ans, travaille comme journalier dans cette compagnie, à deux pas du domicile familial. Son père Émile y travaille également comme caoutchoutier. Grâce à ces emplois et aux deux payes qu'ils représentent, Émile et Albert rapportent à la maison, en plus des odeurs de l'entreprise, des revenus bien nécessaire aux finances d'une famille de huit personnes. En effet, outre Albert qui les aide, les parents Émile et Berthe, ont la charge de Jeanne qui a douze ans et fréquente encore l'école publique, de Marcel, neuf ans, lui aussi écolier, de Charles, cinq ans, de la petite Hélène qui n'a que deux ans, mais aussi de la tante Julie Chandellier, qui, bien que maintenant âgée de quatre-vingt ans, peut toujours aider en faisant de la couture, à condition que la lumière soit bonne. La mère d’Émile, Anastasie Tripier, est décédée récemment.
En cette période de grands changements industriels, les milieux ouvriers sont agités par divers mouvements de contestation anarcho communistes. Nous ne savons pas si la famille d'Albert est sensible à ces mouvements, mais ils n'ont pas pu ne pas vivre les troubles qui agitent la société. Les luttes ouvrières sont ponctuées de grèves; on en dénombre 1309 avec 438 500 grévistes en 1906 (*). "De petites révoltes locales témoignent d'une misère persistante, d'autres sont aussi l'explosion de rêves refoulés" (G. Adam). Bien des conflits débouchent sur la mise en état de siège des communes industrielles; des soldats du contingent interviennent puisqu'il n'existe pas de forces spécialisées dans le maintien de l'ordre (*). L'historien du monde ouvrier Édouard Dolléans dresse le palmarès du seul ministère Clémenceau (1906-1909): 667 ouvriers blessés, 20 morts, 391 mises à pieds, 104 années de prison distribuées (*).
Après les grèves, Albert apprend le métier de serrurier. Il peut espérer gagner entre 20 et 30 F par semaine (*)(#). C'est le métier qu'il déclarera exercer lors de son recensement militaire.
Né en 1889, Albert (Eugène Émile) est donc de la classe 09 (pour 1909, l'année de ses vingt ans). Le recensement militaire de décembre 1909 l'inscrit dans la liste des conscrits. Il se présente au début de 1910, à vingt ans révolus, devant le Conseil de révision. Il est inscrit sous le n° 292 de la liste du canton d'Argenteuil. Son signalement : cheveux et sourcils bruns, yeux marrons, front bas, nez long, bouche moyenne, menton à fossette, visage ovale. Taille 1m 61cm. Sa photo nous montre un petit homme svelte, moustachu, à la chevelure abondante et au regard profond.
Depuis la loi militaire "égalitaire" du ministre de la guerre radical socialiste Maurice Berteaux (*), en 1905, le tirage au sort qu'ont connu les aînés d'Albert n'existe plus. Malgré tout les anciens, et notamment ce Pierrot qui s'intéresse tant à la petite soeur d'Albert ces derniers temps, aiment encore raconter aux jeunots, "la bleusaille", les affres de cette pratique du passé qui permettait toutefois à certains chanceux de ne faire que six mois ou un an de service quand ceux qui avaient tiré un "mauvais" numéro restaient trois ans "sous les drapeaux". Cela dit, les trois années de service pouvaient constituer pour certains une solution à des situation personnelles difficiles. L'armée offrait généreusement le gîte, le couvert et même la garde-robe...
Quand c'est le tour d'Albert, il le sait, tous les conscrits effectuent désormais deux années de service militaire dans l'armée d'active. En contrepartie, la durée totale des obligations militaires, incluant la réserve de l'active, d'une durée de onze ans, la territoriale, six ans, et la réserve de la territoriale, six ans également, atteint maintenant vingt-cinq ans ! Albert est classé dans la première partie de la liste. Cela se dit en quatre mots : "bon pour le service" ! La fin de ses obligations militaires est prévue à l'horizon 1935, sauf nouveau changement de la loi militaire... Pour l'instant, c'est un avenir lointain et incertain.
Au début de l'année 1910, alors qu'Albert vient tout juste d'entammer son parcours militaire, un jeune homme aux cheveux chatain-clair - certains disent un "rouquin" - surnommé Pierrot, un gars costaud et assuré, entre dans son environnement social. Il a pris un logement lui aussi au 38 rue d'Argenteuil à la fin de 1909. Ce nouveau venu avait habité Bezons dans son enfance, mais récemment, depuis la fin de son service militaire, il vivait route de Paris à Nanterre, avec sa mère, ses quatre demi-sœurs et son demi-frère. Il y a déjà bientôt trois ans qu'il a terminé son service dans les Bat' d'Af (les Bataillons d'Infanterie Légère d'Afrique) ce qui lui donne un certain prestige auprès des plus jeunes et ce qui lui vaut la méfiance de ceux qui savent qu'être affecté à ce genre de régiment est une punition. Il n'a pourtant pas l'air d'une "tête brûlée" (*). Il a appris le métier de mécanicien durant son service militaire et cela lui a permis de se faire embaucher par la société la Lorraine-Diétrich à Argenteuil, à peu de distance de la limite de Bezons, dans le prolongement de la rue d'Argenteuil.
Cette usine créée récemment, en 1907, est spécialisée dans la fabrication de voitures de tourisme, les « Lorraine ». La guerre de 1914 amènera la Lorraine-Diétrich à Argenteuil à se tourner vers la fabrication des moteurs d'avions conçus par l'ingénieur Barbarou. Bien des années après, une usine de la société Dassault occupera le même espace.
Il est difficile de dire comment Albert et Pierrot se rencontrent. Est-ce qu'ils fraternisent un jour de paye, au café ? C'est une possibilité vraisemblable puisque les deux jeunes hommes travaillent dans deux entreprises situées à quelques centaines de mètres l'une de l'autre, dans la même rue, et qu'ils logent dans la même batisse. Une chose est certaine, le dénommé Pierrot a rapidement séduit Jeanne, la jeune sœur d'Albert, qui n'a pas encore dix-sept ans. Il est envisageable que cette relation entre Pierrot et Jeanne ait précédé celle avec Albert, la promiscuité des logements ouvriers favorisant les rencontres fortuites dans les escaliers.
Spectacle dans le ciel. L'année 1910 commence par un évènement spectaculaire, le passage de la Grande comète de janvier 1910, visible en plein jour - enfin, quand le ciel n'est pas chargé de nuages ! Les personnes mal informées la prennent pour la comète de Halley dont on attend justement le passage cette année. Le hasard veut qu'au même moment des inondations se produisent en plusieurs points du pays. Certains établiront bien sûr un lien entre le passage de la comète et les pluies entraînant la montée des eaux. Ceux qui critiqueront la possibilité de ce lien admettrons tout de même qu'il s'agit pour le moins d'une coïncidence funeste.
Inondation de 1910, la crue centennale. À Bezons est implantée une station d'annonce des crues. Cette station fait ce pour quoi elle est conçue et annonce dès le vingt janvier que la Seine entre dans une phase critique. Le niveau de la rivière monte rapidement à partir de cette date et dépasse le niveau de submersion de 4,80m. Entre le vingt-huit et le trente janvier on relève un niveau particulièrement exceptionnel de 7,90m au pont de Bezons. Le débit de la Seine, estimé à Paris, atteint 2400 m3/s ! Le niveau de l'eau reste élevé, supérieur à 5m, jusqu'au 5 février et stagne autour de 5m jusqu'au début du mois de mars ! Dès le début du mois de février, les autorités locales publient par voie d'affiches des instructions officielles concernant les mesures d'hygiène à prendre pour éviter toute épidémie notamment de typhoïde. Le quai de Seine est inaccessible et le début de la rue d'Argenteuil partiellement inondé. Bien sûr, la compagnie des téléphones qui est implantée entre le quai de Seine et la rue d'Argenteuil se trouve également inondée et l'activité est à l'arrêt. Après les grèves, c'est un nouveau coup dur pour les ouvriers et en particulier pour les deux hommes de la famille Chandellier qui perdent ainsi simultanément leurs deux revenus.
À la détresse collective liée aux inondations s'ajoute donc une détresse financière individuelle. Ironiquement, gageons que, grâce aux chaussures en caoutchouc produites par leur usine, quelques ouvriers chanceux ont pu au moins conserver leurs pieds au sec... Heureusement, à la fin du mois de mars, la municipalité vient au secours des ouvriers mis en chômage technique en prévoyant de leur verser une indemnisation. Mais il a déjà fallu tenir jusque là et il faut tenir jusqu'à ce qu'on la touche cette indemnisation ! La date limite des formalités d'inscription est fixée au dix avril. Ses caractéristiques et ses conséquences exceptionnelles classent cette crue parmi les plus importantes jamais observées. On la qualifiera de crue centennale, une crue telle qu'on n'en voit que tous les cent ans, la crue du siècle en d'autres termes. Cinquante ans plus tard, son souvenir était encore vif dans les mémoires, y compris de ceux qui n'avaient pas vraiment vécu l'épisode d'inondation, comme mon père, né pourtant neuf mois après cette catastrophe, à la fin de l'année. Aujourd'hui encore, après plus de cent ans, cette crue sert de référence quand la Seine déborde un peu.
La grande crue de 1910 n'est pas encore complètement terminée quand les évènements se précipitent dans la relation de Jeanne avec Pierrot. Il n'est pas certain que cette relation soit du goût de ses parents, ni d'ailleurs d'Albert qui voit sa petite sœur tomber dans les bras d'un homme de vingt-cinq ans, tout costaud et sympathique qu'il soit. Toujours est-il que les deux amants se marient le 19 février 1910, les pieds dans l'eau d'une crue finissante, après que la désorganisation due aux inondations qui atteignent les abords de la mairie le 28 janvier soit corrigée. Est-ce pour "réparer leur faute" en urgence, on ne saurait le dire aujourd'hui, mais ce serait bien "dans l'air du temps".
Ce n'est finalement qu'à la fin du mois d'avril 1910 que la comète de Halley commença à être observable, et le spectacle fut extraordinaire à la mi-mai. Lors de ce passage proche de la Terre, ce ne sont plus les crues qui furent redoutées, mais l'effet possible du passage de notre planète dans la queue de la comète. Horreur, malheur, les astronomes avaient découvert la présence de cyanogène dans cette queue ! Une rumeur enfla et se propagea d'un risque d'empoisonnement de l'atmosphère terrestre. C'était la fin du monde ! Des manifestations de panique, processions et suicides, eurent lieu. En réalité, bien sûr, rien ne se passa. La queue d'une comète ne représente aucun danger. Tout au plus aurait-on pu assister au spectacle admirable d'une pluie d'étoiles filantes.
Un exemple de l'animation sociale dans l'environnement d'Albert est donné par l'arrivée à Bezons d'une certain Ernest Girault (Giraud) (*), connu pour être un anarchiste. En 1910, après avoir été expulsés de leur logement 80 route de Pontoise au Val Notre-Dame à Argenteuil, Ernest Girault et sa femme Victorine Triboulet s’établissent à Bezons dans un immeuble qu'ils baptisent « Cité communiste de Bezons » (*). Girault y installe le "Bureau de propagande anarchiste" qui édite ou réédite plusieurs brochures. Il fait notamment rééditer en 1911 "La crosse en l'air" ouvrage déjà paru en 1905. À l’automne 1913 il fonde l’organe de la Société communiste Libre examen (Bezons, n°1, novembre 1913 et sans doute le seul paru). [NB aucune mention de E. Girault n'existant dans les recensements de Bezons en 1911, on ne peut localiser précisément la "Cité communiste", cependant il est bien recensé à Bezons entre 1921 et 1931, chemin des Borterelles, en compagnie d'une amie, Julia Augustine Têtu, qu'il épouse à Bezons le 14 août 1926. Cinq enfants seront recensés avec ce couple, Fernande (née en 1904 à Paris), Lucien (né en 1915 à Argenteuil), Georgette (née en 1920 à Paris 14e), Fernand (né en 1924 à Bezons) et Wladimir (né en 1927 à Bezons) - il n'y a pas eu de recensement en 1916 pendant la guerre].
La 3ème C.O.A. est une partie du 3ème Corps d'Armée en garnison à Rouen. Albert est incorporé comme soldat de 2e classe à compter du 4 octobre 1910 à la caserne Pélissier. Il est choisi pour suivre les cours de l'école des caporaux et il obtiendra ce grade le 29 septembre 1911. Le reste de ses obligations militaires sera effectué sans anicroche et un "certificat de bonne conduite" lui sera accordé lorsqu'il est "envoyé dans la disponibilité" le 29 septembre 1912. Passant alors dans la réserve de l'armée active, il reste attaché à la 3e section des C.O.A. à Rouen. La guerre empêchera qu'il y effectue ses périodes.
Au début de novembre de la même année, un vrai temps d'automne s'installe, pluvieux au point que de nouvelles crues se produisent. Jeanne, la jeune femme de Pierrot, accouche d'un garçon. On l'appelle Pierre, comme son père, ou plutôt "petit Pierrot". Il s'agit de mon père. Il ne s'est écoulé que neuf mois depuis le mariage des parents. Le jeune couple s'est installé également au 38 rue d'Argenteuil. Albert a quitté la maison depuis peu pour endosser l'uniforme et Pierrot a pris sa place dans le logement, mais aussi dans l'équilibre financier de la famille. C'est un équilibre toujours difficile à maintenir d'autant plus que, comme déjà évoqué, la création, en cette année 1910, de la retraite ouvrière va amputer les salaires du montant des cotisations pour toutes celles et ceux qui gagnent moins de 3000 F (soit moins de 9150 Euros de 2001) par an. Mais c'est pour une bonne cause et on se fait une raison. La toute fin de l'année verra une autre loi importante pour les le monde ouvrier être adoptée par le Parlement. Il s'agit du premier "code du travail et de la prévoyance sociale" mis en oeuvre par Arthur Groussier. 1910, année sociale ! Une mauvaise nouvelle pour la santé publique, mais qui n'est pas tout de suite perçue comme telle en cette fin de 1910, c'est la mise en vente le 3 décembre des cigarettes Gauloises.
Le 21 mai 1911, un évènement relevant à la fois des "faits divers" et de la politique marque les esprits. Le ministre de la guerre Maurice Berteaux, celui qui était venu à Bezons inaugurer le buste de la République, décède à l'âge de 58 ans, sur le terrain d'aviation d'Issy-les-Moulineaux.
Lors du départ de la course "Paris-Madrid aéroplanes" organisée par le journal "Le Petit Parisien", l'aviateur Louis Émile Train, sur un monoplan de sa conception, ayant des difficultés à décoller, tente un atterrissage d'urgence. Il évite de justesse un peloton de cuirassiers qui traversent la piste pour repousser des spectateurs et finit de manière catastrophique sur le groupe des personnalités qui avait envahi la piste. Berteaux est atteint à la tête et a un bras sectionné; il meurt sur le coup. D'autres officiels dont Henry Deutsch de la Meurthe, le célèbre mécène de l’aviation et des dirigeables, souffrent de diverses blessures. Le 26 mai, des funérailles nationales sont organisées en l'honneur de Berteaux. Tout le monde en parle dans les casernes !
L'agitation sociale c'est aussi la délinquance. Le vendredi 1er novembre 1912, jour de la Toussaint, quatre cambrioleurs s'attaquent au bureau de poste de Bezons. Au cours de l'action, le receveur est tué de plusieurs balles. Les coupables s'enfuient en emportant environ trois cents francs et en oubliant une casquette sur place. Le lendemain, un jeune Alsacien, Bernard, qui travaille aux usines De Dietrich, déclare : "Hier soir, un peu après neuf heures, comme je passais, en sortant de l'usine, par la rue Saint-Germain, j'ai rencontré quatre cyclistes. L'un d'eux, qui était tête nue, s'est arrêté, a mis pied à terre et m'a demandé de lui donner ma casquette. Comme je refusais, il me l'a arrachée, et me jetant une pièce de 5 francs, il me cria « Avec ça; tu en achèteras une autre ». Puis il sauta en selle et rejoignit ses compagnons.". Un habitant de Bezons, M. Coindet, chauffeur d'automobile, est également venu apporter aux enquêteurs une petite moustache postiche qu'il avait ramassée dans le cimetière. Or, ce cimetière se trouve rue de la Paix, rue par laquelle il faut passer pour aller du bureau de poste à la rue Saint-Germain où Bernard a rencontré les bandits.
On peut donc ainsi reconstituer la route qu'ils ont suivie rue Camille (où est le bureau de poste), rue de la Paix, rue de Saint-Germain et rue d'Argenteuil, qui est la direction de Paris. D'autres témoins ont bien raconté qu'ils avaient entendu des coups de feu, mais ils n'ont rien vu et n'ont pu fournir aucune indication utile. Lacombe Léon, dit Léontou, dit le chien, un anarchiste ayant eu des liens avec la fameuse "bande à Bonnot", est rapidement suspecté. Il est arrêté quelques temps plus tard, jugé et condamné.
Le dimanche 10 novembre, c'est assez ironiquement le jour de la saint Léon. Un assez grand nombre de curieux ont fait du bureau de poste de Bezons le but de leur promenade dominicale, de telle sorte que la rue de Villeneuve a présenté, dans l'après midi, une certaine animation. L'arrestation d'Ibanez, un des comparses, a été accueillie par les habitants avec une réelle satisfaction. Chacun souhaite d'ailleurs que les policiers n'en restent pas là et on attend avec impatience l'arrestation de ses complices.
Au cours du mois d'août 1913, à la suite des tensions avec l'Allemagne, le Service militaire est porté à trois ans par la loi Barthou (*). La réserve sera de 11 ans, suivie de 7 ans dans la territoriale et 7 ans dans la réserve de la territorial. Le vote de cette loi est à l'origine de troubles sociaux. En effet elle devrait être rétroactive et s'appliquer à ceux déjà sous les drapeaux. Le mécontentement des conscrits, se traduisant par des manifestations dans les casernes, fera reculer le gouvernement et un amendement exclura les classes 1910, 11 et 12 (*).
Les techniques et les inventions participent également au bouillonnement social. Le mardi 16 sept 1913, abandonnant pour un temps le ciel est les avions, Louis Blériot essaie sur la Seine à Bezons, un glisseur à hélice aérienne de sa fabrication, muni d'un moteur Laviator de 120 CV. Ce n'est toutefois pas une idée originale. déjà dès 1895, le comte de Lambert avait fait des essais similaires sur la Seine avec des engins d'abord propulsés par un moteur à vapeur puis les années suivantes pas des moteurs à essence. À partir de 1900, pour l'Exposition universelle, il avait expérimenté la propulsion par une hélice aérienne sur le bassin d'Argenteuil. Toutes ces manifestations attirent des foules de curieux et alimentent les colonnes des gazettes.
En août 1914, Albert a vingt-cinq ans. Depuis deux ans il est revenu à la vie civile, mais il fait toujours partie jusqu'en 1923 de la réserve d'active. Lorsque la guerre contre l'Allemagne est déclarée et la mobilisation générale promulguée, il est mobilisé (matricule 015196), comme son beau-frère Pierrot et comme ses cousins par alliance Louis Bouraine (*), Gustave et Louis Louvel (*) et Victor Marie (*).
On verra qu'Albert a traversé quasiment l'intégralité des quatre années de guerre entre 1914 et 1918. Au début de la guerre, Albert fait partie de sections "Commis et Ouvriers" chargées de l'approvisionnement des troupes. C'est une situation un peu moins exposée. Mais il est assez vite transféré dans des unités combattantes. Il en résulte un parcours militaire pour le moins compliqué au gré des dissolutions ou des réorganisations de certains régiments. Les hommes de troupe n'étant apparemment, au yeux de la hiérarchie militaire, que de la chair à canon, on ne s'embarasse pas de noter leurs mésaventures. On se contente de noter dans le journal du régiment que tant d'hommes anonymes sont tués, blessés, disparus ou prisonniers... Il faut que le soldat ou le caporal ait réalisé un véritable fait d'armes exceptionnel pour que son nom soit cité. Dans l'historique qui suit, dressé à partir des indications de changements d'affectation d'Albert, on ne trouvera donc que ce qu'on sait des mouvements et des opérations des Corps d'armée, des Divisions et des régiments auxquels il est rattaché. Pour Albert, le calvaire a duré quatre années. Accordons quelques minutes à la lecture de son parcours...
Albert et les soldats du 3e Corps d'armée ne le savent pas, car le plan de bataille des armées est bien sûr un secret militaire, mais ils font en principe partie des "chanceux" qui ne seront pas envoyés directement en première ligne, "privilège" réservé aux 2e, 6e, 7e, 20e et 21e Corps d'armée.
À ce point du récit, je dois préciser que je n'ai pas (encore) trouvé d'informations particulières sur le parcours militaire des troisème et onzième C.O.A. auxquels Albert a été affecté. De plus, nous n'avons aucune indication sur le type d'emploi d'Albert dans ces sections de Commis et Ouvriers. Dans ce qui suit je suis bien obligé de m'en tenir au journal de la cinquième armée et plus précisément à ceux du troisème et onzième Corps d'armée auxquels les deux C.O.A. sont rattachés. Par malchance, les archives du troisième Corps d'armée ne commencent qu'en février 1915, les journaux antérieurs ayant sans doute été détruits ou perdus pendant le conflit. Toutefois, la consultation du journal des Services de Santé, qui commence dès le 2 août 1914, permet de connaître les déplacements du Quartier Général du Corps d'armée près duquel les C.O.A. pourraient avoir été également installés.
4 - 13 août : départ de Rouen; transport par voie ferrée vers les Ardennes, en passant par Mantes, Pontoise, Compiègne, Soissons, Rethel, Vouzier. Arrivée dans la région d'Amagne, Poix-Terron. Une description un peu plus détaillée de ce trajet est donnée dans l'article consacré au cousin Louis Bouraine (*). Puis couverture de la Meuse entre Mézières et Sedan.13 - 24 août : mouvement vers la Sambre en direction de Charleroi. Engagé dans la bataille de Charleroi.
22 - 23 août : combats à l'est et au sud de Charleroi.
24 août - 6 septembre : repli par Fourmies, vers la région de Guise atteinte le 27 août.
29 août : engagé dans la bataille de Guise. Combats vers Landifay et Courjumelles.
À partir du 30 août : poursuite du repli, par Laon et Igny-le-Jard jusque dans la région sud de Courgivaux.
6 - 13 septembre : engagé dans la première bataille de la Marne.
6 - 10 septembre : bataille des Deux Morins. Combats dans la région de Montceaux-lès-Provins, Courgivaux.
À partir du 10 septembre : poursuite jusque dans la région nord-ouest de Reims.
25 septembre : front étendu à droite vers la Neuvillette.
1er novembre : front étendu à gauche vers la cote 108.
3 - 4 novembre : violents combats à Sapigneul.
16 - 18 décembre : attaques françaises sur Ovillers, La Boisselle.
10 janvier 1915 : attaque locale française sur La Boisselle.
18 janvier : attaque allemande sur La Boisselle.
15 mars : front étendu à gauche jusqu'à Hébuterne.
18 avril : front étendu à droite jusque vers Carnoy.
7 juin : attaque française entre Serre et Hébuterne ; prise de la ferme de Toutvent.
17 juillet : extension du secteur à droite jusqu'à la Somme.
20 juillet : limite gauche ramenée à La Boisselle, puis réduction progressive du front à gauche par la relève par l'A.W.
27 juillet 1915 : Albert est versé au 87e Régiment d'Infanterie (*) de la 3e Division d'Infanterie qui est engagé aux combats dans la Meuse.
Août 1915 : les Eparges
1er octobre 1915 : Albert est affecté au 402e Régiment d'Infanterie (*) de la 157e Division d'Infanterie. Ce régiment a été constitué en avril-septembre 1915 au camp de La Valbonne puis à Meximieux (Ain). Il comprend 3 bataillons. Il fait partie de la 133e Division d'Infanterie jusqu’en avril 1916.
Octobre 1915 : Sommepy-Tahure, butte de Tahure (Marne).
Jusqu'au 9 octobre : Champagne : ferme de Cuperly, Souain, cote 174, tranchées des Tantes, bois J11, ferme des Wacques
octobre - décembre : Frontière suisse, Belfort, Montbéliard, Héricourt, Byans, Verlant, Saint Valbert, Saint-Hippolyte, Noirefontaine, Montécheroux
Janvier - mars 1916 : Vosges, Belfort, Tagolsheim, bois de Carspach, de Banolz et de Stokelé
Avril 1916 : Dissolution du régiment (*) - Quelques soldats du 402e RI intègrent le 164e et le 165e RI.
30 mars 1916 : Albert passe au 165e Régiment d'Infanterie (*) de la 29e Division d'Infanterie.
Avril - octobre 1916 : Flandres : dunes de Nieuport
Novembre 1916 : Somme : Berny en Santerre
Décembre 1916 : Abancourt
Janvier - juin 1917 : Flandres : dunes de Nieuport
En 1917, Albert est à la 3ème compagnie du 165ème. il est toujours caporal et Jules Louvel lui adresse une carte au secteur 129 (Le SP 129 desservit la 29e division d'infanterie dont le 165e RI)
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Septembre- octobre 1917 : bataille des Flandres : Steenberck puis Nieuport
Novembre- décembre 1917 : Mer du Nord
Le premier mars 1918, au cours d'une permission, Eugène Émile dit Albert épouse Rose Blanche Rezeau. La cérémonie à lieu à Nantes où Rose est née et habite. Maman Berthe a fait le déplacement ainsi que René Émile Poisson, un copain et voisin d'Albert à Bezons. Les parents de Rose étant tous deux décédés, elle est accompagnée par sa belle-soeur Eugénie Puvageau et deux autres témoins Léon Le Masne et Auguste Clouet, tous de Nantes. Comment Albert et Rose se sont-ils rencontrés est difficile à établir à partir des documents disponibles. Albert ayant été versé un temps aux 11e COA basé à Nantes, il y a peut-être pris une permission au cours de laquelle il aurait rencontré Rose. Autre hypothèse également assez vraissemblable, Rose a été une marraine de guerre et Albert était le destinataire de ses courriers (*).
Mars-avril 1918 : seconde bataille de la Somme : Boves, Berteaucourt les Thennes, Bois Sénécat, Hangard, ravin de Domart
11 avril 1918 | Journée calme.
Dans la nuit le 2e bataillon du 141e relève sur la position avancée de la côte 104 le 2e bataillon du 165e qui vient occuper la C. R. de Hourges (2 Cie : 5e & 6e) et de Domart (7e Cie).
Le 1er Bat. relève dans le C. R. de Hangar le 3e bataillon qui remplace en réserve dans le ravin N. de Domart le 1er bataillon du 141e R.I.
Les mouvements de relève sont terminés le 12 à 5h du matin.
Pertes. tués : 2
blessés : 8 (voir état nominatif No. ... )
12 avril 1918 | Attaque sur le bois 104.
Au lever du jour après un violent bombardement du bois de la côte 104 et du C. R. de Hourges, l'ennemi prononce une violente attaque et réussit à s'emparer du bois. Il ne peut en déboucher et la première ligne française s'établit au S. O. de la route sur la pente à environ 400 mètres sud du carrefour de Hourges (5e Cie du 165e); au N. E. de la route sur le chemin à un trait est-ouest de Demuin à Hourges (1 Cie du 141e ayant en soutien la 6e Cie du 165e R.I.).
Activité intermittente de l'artillerie ennemie; aucune autre action d'infanterie.
Attaque sur le C.R. de Hangard
Vers 6h, une attaque allemande à laquelle d'après les déclarations des prisonniers, participent 5 bataillons (104e R. et 107e R.) se déclanche sur le front du C. R. d'Hangard, entre la Luce et le boqueteau au nord du village. Cette attaque avec été précédée d'un violent bombardement pour lequel l'ennemi paraît avoir encore employé une proportion très importante d'obus fumigènes. Toutes les déclarations concordent en effet pour affirmer qu'au moment de l'attaque les défenseurs étaient enveloppés d'un brouillard très épais masquant les vues à quelques mètres.
La première ligne fléchit : le cimetière en particulier fut enlevé par l'ennemi qui commença à s'infiltrer dans le village surtout par le sud de la route. Cependant, à droite le Moulin tenait toujours, et, à gauche l'attaque ennemie avec échoué devant le boqueteau tenu par la 3e Cie.
Vers 6h45 le commandant Delache prévenait par CPS qu'il était menacé d'encerclement par le Nord et par l'Ouest. Il parvenait toutefois à maintenir les assaillants à distance avec les éléments donc il disposait : sa liaison, une section de mitrailleuse (assistant Jalaguier), une section de la 1ere Cie (s/ Lieut. Lande) et un détachement du génie (adjt ...).
Le terrain semble même être libre jusqu'à l'Église pendant la plus grande partie de la matinée.
Dès que le lieutenant colonel commandant le 165ème R. I. avait été prévenu de l'attaque et de l'irruption de l'ennemi dans le village, il avait, à 6h45, donné l'ordre à son Bat. de soutien (Bat. Furioux) de se porter à la contre-attaque pour dégager le village. Le mouvement devait s'exécuter comme il avait été étudié dans la nuit du 9 au 10 en partant du sommet du ravin à l'Ouest de la Côte 99 et en direction des lisières N.O. du village pour le déborder.
Il convient de rappeler que le bataillon Furioux avait déjà subi des pertes très sensibles dans la nuit du 9 au 10 : une de ses compagnies n'avait plus d'Officiers. De plus il était fatigué ayant été relevé dans la nuit et n'ayant atteint son bivouac qu'à 5h le matin. Malgré ces conditions défavorables il se déploya sur le plateau avec une correction parfaite, sous un grand soleil qui dut le rendre particulièrement visible. Entraîné par l'énergie des deux commandants de compagnie, le lieutenant Cocu et le capitaine de Mouricaud, il progressa malgré de violents barrages d'artillerie de tout calibre et de mitrailleuses et ces éléments les plus avancés conduits par le lieutenant Cocu parvinrent vers 11 heures jusqu'au boqueteau N. du village. Mais subissant des pertes considérables, privé de la majeure partie de ses cadres, il ne put atteindre le village malgré l'appui d'une compagnie du bataillon Jay du 3e RI. Le colonel commandant l'I. D./29 avait mis à ...h, ce bataillon à la disposition du Lieut. Colonel commandant le s/ secteur en lui recommandant de l'engager prudemment, ce bataillon constituant sa seule réserve. Dès le début de l'action, vers 9h, le capitaine Jay était blessé et passait le commandement au capitaine Bousquet.
Pendant que se développait cette contre-attaque, un combat très sérieux était engagé autour du boqueteau. L'ennemi qui n'avait pu l'enlever dans son premier élan, cherchait à le déborder par le Sud. Deux des sections de la 3e Cie, renforcées par une section de la 2e qui s'était repliée sur elle après la rupture de la 1ère ligne entre la Luce et le Bois, durent successivement faire face au Sud. Le boqueteau menacé un instant fut dégagé par une contre-attaque énergique de l'adjudant Chery. À sa gauche, la 3e Cie devait en outre étayer les Britanniques qui manifestaient des velléités de se retirer bien qu'ils ne fussent pas directement attaqués.
Si la contre-attaque du 3e Bat. appuyée par le Bat. Jay ne parvint pas à délivrer le village, elle eut du moins pour résultat de consolider la résistance de la 3e Cie et d'arrêter définitivement les progrès ennemis de ce côté.
À partir du milieu de la journée nos éléments engagés au N. du village semblent avoir tenu outre le petit bois, une ligne face aux lisières N.O. du village et l'éperon que contourne le premier coude de la route à l'ouest d'Hangard. C'est de cette croupe que devait le soir déboucher la contre-attaque du Bat. Chevalier du 141e R.I.
La contre-attaque du 3e Bat. fit sentir son effet jusque dans Hangard, dont les défenseurs perçurent à ce moment un léger mouvement de recul de l'ennemi. Le Commandant Delache en profité pour tenter de se donner un peu plus d'air, en particulier du côté de l'Eglise. Il continuait d'ailleurs à envoyer des messages par C.P.S. et à demander constamment des renforts.
Du côté du moulin la lutte continuait, soutenue par une section de mitrailleuses du Moulin et par une section de la 1ère Cie (Aspirant Delabre) sur la ligne Sud en liaison avec le Bat. Caquet du 141e R.I. Mais le repli des éléments de ce Bat. au cours de l'après-midi, isola complètement le Moulin qui se trouva entièrement cerné. La section des mitrailleuses put cependant s'y maintenir jusqu'au moment de la contre-attaque qui la délivra, sans parvenir touefois à rétablir la liaison par la rive Sud avec le Bat. du 141e R.I.
À partir du milieu de la journée, une infiltration lente mais continue comença à se produire autour du Château. Les allemands progressèrent homme par homme, en rampant, pénétrèrent dans le parc, puis entourèrent le Château d'assez près pour pouvoir l'attaquer à la grenade vers 19 heures. Le Commandant Delache n'avait cessé de demander du renfort par C.P.S. et de tenir le Lieutenant-Colonel au courant de sa situation; depuis le matin les coureurs envoyés dans un sens ou dans l'autre ne passaient plus. Une tentative faigte dans l'après-midi avec un peloton de la 7e Cie, garnison de Domart, seule troupe dont put disposer à ce moment le Commandant du Sous-Secteur, pour débloquer le Château par la rive Sud de la Luce, était demeurée sans résultat. L'on ne pouvait qu'annoncer au Commandant Delache le déclanchement prochain d'une contre-attaque. Mais serré de très près, attaqué par les fenêtres, ayant épuisé tous ses moyens de défense rapprochés, il dut, pour éviter le massacre des défenseurs et des blessés réunis dans le Château, se rendre avant d'avoir été secouru.
Une contre-attaque était en effet préparée : elle devait être effectuée par un Bat. du 141e RI et un Bat. anglais après une préparation d'artillerie lourde sur le village et sous la protection du barrage d'artillerie de Campagne. Mais la coopération du Bat. anglais dont on ne peut obtenir le départ avant 19h15 en retarda l'exécution et le Bat. du 141e ne put déboucher qu'à 19h45 de la croupe à l'Ouest d'Hangard. D'après les renseignements fournis pas les gradés alors prisonniers et délivrés pas la suite, l'ennemi commença à reculer dans Hangard, dès l'ouverture de notre tir de barrage très efficace. Quelques fractions tentèrent de resister, mais beaucoup d'allemands commencèrent à se rreplier ou à se réfugier dans les caves. Un certain nombre de nos Sous-officiers qui étaiet alors employés à relever les blessés ennemis, purent même faire prisonniers leurs gardiens. C'est à ce moment que le Bat. du 141e pénétra dans le village et l'occupa en entier. L'ennemi ne conservait que le cimetière de Hangard.
La ligne française est tenue :
C.R. de Hangard :
- 3e Bat. du 141e RI
- Bat. jay du 3e R.I. et
- 3e Cie du 165e R.I.
- Cdt du C.R. Chef de Bat. Chevalier du 141e - D.C. : au château.
C.R. de Hourges : - 1er Bat. du 141e (ayant relevé les éléments restant du 2e Bat. du 141e) - 5e & 6e Cie du 164e R.I.
C.R. de Domart : - 7e Cie du 165e R.I.
Le nombre approximatif de prisonniers faits s'élève à 150 (dont 4 officiers) appartenant aux 104e & 107e Regt réserve.
Pertes : tués : Lieut. Bonneil, Ss Lieut. Boulongne, Lieut. Bonaventure, Lieut. Cruziot et 63 hommes
blessés : Lieut. Cocu, Lieut. Boute (blessé mortellement), Ss Lieut. Besançon, Lieut. Piquet, Ss Lieut. Causse, Ss Lieut. Ricard, Ss Lieut. Dekayser et 150 hommes
disparus : Chef de Bat. Delache, Capitaine Maximin, Capitaine Durand Gasselin, Capitaine Carolus, Lieut.Hazard, Lieut. Loiustalet, Sous-Lieut. Lande, Médecin Aide-Major Gadel et 208 hommes (voir état nominatif No ... )
Promotions :
(Extrait du J.O. du 3 avril 1918)
Par décret du Président de la Républqiue en date du 30 mars 1918, rendu sur la proposition du Président du Conseil, Ministre de la Guerre, sont promus à C.D. au grade de Lieutenant, pour prendre rang des dates ci-après indiquées, les sous-lieutenants de réserve d'Inf. dont les noms suivent :
M. Bonte (C.H.) du 165e R.I. (18 janvier 1917) rand d'ancienneté : 18 janvier 1915
12 avril 1918 : ALBERT EST PORTÉ DISPARU à Hangard (Somme).
Il sera déclaré tué à l'ennemi par jugement déclaratif du tribunal civil de Versailles en date du 7 avril 1921.
Salut Albert !
où Albert a disparu le 12 avril 1918 (photo JL 2014)
*** Documents et notes annexes ***
Sa fiche "Mémoire des hommes" mentionne :
"tué à l'ennemi le douze avril 1918 à Hangard - Somme".
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Chandellier Eugène Emile
Numéro matricule du recrutement : 1605
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Reproduction du Journal de marche et des opérations du 165e Régiment d'Infanterie entre le 11 et le 15 avril 1918.
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Note : Emile Jous et Julien Hérel, les copains d'école d'Albert, reviendront sains et saufs à Bezons à la fin du conflit.