Les malheurs de cousine Léonie

Le 13 Nov 2014 par Jac Lou Réagir » Partage » Partagez cet article sur Facebook
Prolégomènes. Cet article nécessite quelques explications liminaires qui pourront sembler une lourdeur à certains, c'est pourquoi je propose que leur affichage soit une décision laissée au lecteur. Cliquer pour afficher la suite ...

Cousine fréreuse. Léonie Marie Louvel est une cousine fréreuse (*) de mon grand-père Jules. Elle est le quatrième enfant de l'oncle de Jules, Pierre Anatole Louvel et de Bélina Valentine Botrel qui se sont unis à Ernes, en Calvados, en août 1878 et y résident ensemble depuis cette date. Léonie, née le dix avril 1885 à Ernes, est la cadette de deux ans de son frère Louis (Louis Robert Adrien) Louvel qui est le héros d'un autre récit (*). Ses deux autres frères, Gustave (Henri Marius Gustave) et Pierre (Joseph Pierre Hippolyte), ont, au moment de sa naissance, respectivement quatre ans et sept ans.

Ernes. Place de la Croix, où réside la famille en 1886.

... mais Joseph a la bougeotte. Léonie a seulement six mois de moins que grand-père Jules, mais il est probable que ces deux là ne se sont pas beaucoup côtoyés au cours de leur petite enfance, car ni Jules, pourtant lui aussi né à Ernes en 1884, ni ses parents ne sont enregistrés à Ernes ou à l'entour lors du recensement de 1886 ainsi que lors des suivants. Il est vrai que le père de Jules, Joseph Ernest Louvel, oncle de Léonie, a attrapé la "bougeotte" depuis que sa première femme, Eugénie Leverrier, est morte à la toute fin de l'été 1879. Joseph laisse son premier fils, le petit Auguste Louvel, âgé alors de deux ans, à la charge de la mère de sa défunte femme.

Quand Malheur arrive. Lorsque Bélina Valentine Botrel décède, le quatorze mai 1886 à l'âge de 28 ans, elle laisse des enfants encore jeunes orphelins de mère. Joseph Pierre, le plus âgé des frères a sept ans, Gustave a cinq ans, Louis a trois ans et Léonie, la petite dernière, n'a qu'un an. Ils grandiront donc sans maman. Heureusement, la grand-mère Louise Orélie Langlinay, veuve de Pierre Charles Louvel depuis bientôt vingt ans au moment de ce décès, vit dans la même maison que son fils Pierre Anatole et ses enfants. Bien que déjà âgée de 64 ans, elle sera la maman de remplacement dont les petits et notamment Léonie ont besoin.

Elle fait de la dentelle. En plus de s'occuper "au ménage", Louise Langlinay exerce une activité de dentellière (*). Cette activité prend beaucoup de temps et produit un revenu qui est dépendant des commandes passées par les fabricants ou leurs entrepreneuses. Ce que gagne la grand-mère Louise est de toutes façons modeste, tout au plus cela constitue-t-il un complément à ce que doit rapporter Pierre Anatole, le chef de ménage, pour faire vivre la famille.

Dentellière dans son intérieur.

Petite, alors que ses frères étaient à l'école et que le temps était beau, Léonie aimait bien s'asseoir au pas de la porte, côte-côte avec sa grand-mère Louise, quand celle-ci profitait de la lumière du jour pour faire sa dentelle. C'est que grand-mère Louise, en approchant de ses soixante-dix ans, commençait à ne plus bien voir les épingles quand la lumière était basse. Donc pas question de travailler sous une pétoche.

Une entrepreneuse avait apporté une carte à la Louise et lui avait passé une commande. Son carreau sur les genoux, grand-mère Louise avait installé la carte sur la boule et piqué des épingles dans les trous de la carte. Léonie était fascinée par les mouvements rapides des mains et le cliquetis des bloquets quand grand-mère Louise croisait les fils sur les épingles. Elle restait là longtemps à toutouiller. Quand elle en avait assez de regarder, Léonie courait après le chat ou essayait d'attraper les oiseaux. Puis elle revenait vérifier si la bande de dentelle s'était allongée. Mais ça n'allait pas très vite. Alors elle repartait à sauter et danser au rythme de la chanson que fredonnait sa grand-mère. "Arrête donc de virevocher et toupiner. Va plutôt cueillir du maquer à lapin", lui disait alors sa grand-mère. D'autres fois elle lui disait d'aller chasser les limaçons ou les buhottes dans le jardin. Pour plaisanter, elle pouvait aussi l'envoyer chasser la piterne derrière la maison.

Malheur s'acharne. Malheureusement, Léonie devra achever de grandir seule, car sa grand mère Louise Orélie décède à son tour huit ans plus tard, le vingt-quatre septembre 1894, à l'âge de 72 ans. Elle meurt finalement assez jeune quand on considère que ses deux parents, Jean François Langlinay et Marie Jeanne Clérisse, ont tous deux atteint quatre-vingt deux ans. Léonie a neuf ans et c'est alors certainement elle qui va s'occuper de la maison où ses trois frères aînés sont encore présents. Petite "femme du logis" astreinte aux corvées ménagères, elle vit probablement des années difficiles. Heureusement, Léonie peut s'évader de la maison grâce à l'école qui a été rendue obligatoire, deux ans avant sa naissance, pour les enfants des deux sexes, de l'âge de six ans à l'âge de treize ans, ou onze ans minimum pour les "petits-génies" qui décrochaient le certificat d'études primaires plus tôt que les autres.

La famille éclate. En 1901, la famille vit toujours à Ernes, mais il s'est passé quelque chose qui a séparé les enfants. Les deux frères les plus âgés se sont éloignés du père. Ils habitent maintenant sur la route de Vendeuvre au Haut d'Ernes. Ils ont tous les deux du travail. Il est vrai qu'à vingt-deux ans pour l'aîné et vingt ans pour son cadet, il est temps qu'ils soient autonomes. Joseph Pierre, l'aîné, se déclare couvreur et Henri Marius Gustave, le puîné, est journalier.

De son côté, Louis, qui a dix-huit ans, n'a pas encore de travail. Il est hébergé, avec un autre homme, dans la maison voisine de celle de son père, sur la route de Mézidon à Falaise, par Victoria Colas, une femme de cinquante ans (*). Léonie, quant à elle, n'est plus une enfant. C'est une jeune fille de quinze ans qui vit toujours chez son père. L'éclatement constaté pourrait être le fruit d'un conflit d'autorité entre les garçons et le père, mais il pourrait tout aussi bien n'être dû qu'aux contingences matérielles. Cette dernière éventualité est renforcée par le fait que la résidence a changé lors du recensement suivant.

Que fait-il à la maison ? On doit s'interroger sur la présence de Joseph Pierre à la maison en 1901. En effet, né en 1879, il est donc de la classe 1899. Selon la Loi Freyssinet de 1889 sur le service militaire, il aurait donc dû être incorporé dans l'armée depuis la fin de l'année 1900 pour une durée de trois ans. Bien sûr, il aurait pu tirer un "bon numéro" lors de son recensement militaire au début de 1900 et ne faire, en conséquence, qu'un service réduit de six mois ou un an. Mais la bonne explication est tout autre. Pierre a été exempté par le Conseil de révision et maintenu dans cette situation lors des contrôles ultérieurs. On ne sait pas la raison de cette exemption, mais peut-être est-il considéré comme soutien de famille ?


Bons pour le service. De son côté, le deuxième garçon, Henri Marius Gustave, n'a pas la chance de son frère aîné. Il a tiré le numéro 12 lors du recensement du canton de Morteaux-Coulibeuf à la fin de l'annnée 1901. C'est un "mauvais numéro". Il est incorporé pour une durée de trois années à compter du quinze novembre 1902, au 74ème Régiment d'Infanterie en garnison à la caserne Pélissier à Rouen. Trois ans de service militaire, c'est évidemment une contrainte, mais d'un autre point de vue, c'est le gîte et le couvert assurés pendant tout ce temps... Et puis, il n'y a pas que le maniement des armes à l'armée. En septembre 1903 Gustave passe dans la musique comme tambour.
Tambour
Caserne Pélissier à Rouen : la musique en 1909.
L'incorporation de son frère Gustave vaut à Louis Robert Adrien d'être dispensé du service. Comme on le sait (*) il fera tout de même 10 mois de caserne à Falaise, dans le 19e bataillon de chasseurs à pied, à compter de novembre 1904. Il sera libéré en septembre 1905 en même temps que son frère Gustave.

Tous au Fossard. En 1906, le père Pierre Anatole a de nouveau réuni ses gens. Gustave et Louis sont rentrés du service militaire il y a moins d'un an, à la fin du mois de septembre 1905, tous deux munis d'un certificat de bonne conduite. Depuis leur retour ils se font embaucher comme journaliers dans les environs tout comme le fait Léonie. Joseph Pierre, l'aîné des enfants, est toujours couvreur. Pierre Anatole, le père, est jardinier. Le recensement fait apparaître un nouveau nom, Marie Boucher, parmi ceux des membres de la famille.

Marie, amie ou cousine ? Marie est enregistrée comme une amie lors du recensement de 1906, mais lors de celui de 1911, elle est notée comme étant une cousine. Enquête faite, il s'agit plutôt d'une nièce à la mode de Bretagne de Valentine Botrel, feue la femme de Pierre Anatole, le chef de famille. Pour Léonie, c'est une cousine remuée de germain (*), comme on dit cheu nous en Calvados.

La présence de ce nouveau membre de la famille, Marie Boucher, est surprenante. Pourquoi a-t-elle rejoint la famille Louvel à Ernes ? Cette présence devient particulièrement intrigante quand on découvre qu'elle s'est mariée à Caen en 1900. Pourquoi est-elle donc sans son mari si peu d'années après son mariage ? Une réponse possible peut être trouvée dans le chapitre consacré à Marie Boucher cousine remuée de germain.

Rencontre à la ferme. En 1906 Léonie est donc journalière et il est possible, sinon probable, qu'elle effectue des travaux dans les fermes voisines au hameau du Fossard, dont celle de M. Croisy. Quoi qu'il en soit, voisinage aidant, elle rencontre les domestiques de la dite ferme de M. Croisy, deux gars de Maizières, Louis Bouillot et Octave Toutain et un gars de Courvaudon, Victor Adjutor Marie. Léonie est séduite par Victor, jeune homme châtain aux yeux bleus et au menton volontaire, et ils se "fréquentent" assidûment puisque Léonie donne naissance à une première fille, Jeanne Valentine, le vingt-deux juin 1907. La relation entre les deux amants est durable et ils ont une seconde fille, Adèle Magdeleine Odette, le quatorze février 1909. Nées hors mariage, leurs filles sont des poussins de haie, comme on disait en Calvados.

Le mariage, début du bonheur ? Est-ce la pression sociale qui est à l'origine de la décision du couple de se marier ? Se pourrait-il que l'exemple de Gustave, frère de Léonie, marié à Ernes le cinq janvier 1909 avec Léontine Marguerite, ait constitué une incitation ? Ou peut-être est-ce la certitude que, avec deux enfants, leur couple peut et doit durer, Victor étant libéré des obligations militaires de la Réserve d'active après sa deuxième période d'exercices effectuée en octobre 1908 qui ait emporté la décision ? Difficile à dire, mais toujours est-il que, une semaine après la naissance d'Odette, le vingt février 1909, Léonie épouse Victor Adjutor Adrien Marie à Ernes. La célébration a lieu en présence du père de Léonie, Anatole Louvel et de la cousine Marie Boucher d'une part et de deux amis de Victor dont Louis Bouillot, domestique comme lui chez Croisy, d'autre part. Léonie a déjà vingt quatre ans et son époux, né le dix mai 1878 à Courvaudon en Calvados, en a presque trente et un. Leur mariage est l'occasion de reconnaître officiellement leurs deux enfants.

Quinze mois après leur mariage, le 11 mai 1910, Léonie met au monde une troisième fille qui reçoit les prénoms Élise Louise Jeanne Adrienne. Mais le bonheur ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement et la petite Élise décède moins d'une semaine plus tard, le 17 mai.

Ernes. Vue générale depuis les hauteurs en direction du Sud-Ouest.

Vie paisible à Ernes. Lors du recensement de 1911, Léonie et Victor habitent route de Mézidon avec leurs deux filles Jeanne et Odette qui ont respectivement 4 ans et 2 ans. Victor est maintenant ouvrier agricole employé chez Irénée Véchart, l'entrepreneur de battage, un horzain originaire du département de l'Oise. Léonie est journalière agricole chez divers employeurs. Pierre Louvel, le frère aîné de Léonie, également journalier agricole est hébergé par sa sœur et son beau-frère. Un autre des frères de Léonie, Louis Robert, sa femme Jeanne Richer et le fils de cette dernière, André Richer, occupent la maison voisine. Quant au dernier frère, Gustave, il habite plus loin, sur la même route de Mézidon, avec sa femme Léontine Marguerite et leur fils Charles. De son côté, le père Pierre Anatole Louvel, qui a soixante-et-un ans, vit toujours au hameau du Fossard, à la limite de Maizières, où il continue de cohabiter avec la "cousine" Marie Boucher. Ils ont été rejoints par Clémence Ambroisine Sauton, la grand-mère de Marie Boucher, qui est donc aussi une tante de feue la femme de Pierre Anatole. Cette grand-tante de Léonie a soixante-dix-huit ans - elle est née en 1833 à Ernes. Elle est veuve d'un certain Edouard Hiver qu'elle avait épousé en décembre 1861 à Ernes. Elle ne partage pas longtemps le même logement que Pierre Anatole puisqu'elle décède la même année, le 28 décembre 1911, à l'âge de 79 ans.

Certaines s'éteignent, d'autres voient le jour. Le décès de la petite Élise n'a pas refroidi l'ardeur de Victor. Le 13 décembre 1911, une nouvelle fille naît dans la maison familiale. Elle reçoit les prénoms Charlotte Jeanne Pauline Adrienne. Elle est robuste et remplit la maison de ses cris, puis de ses babillages... Dès le printemps 1912, une nouvelle grossesse est annoncée. Hélas le trois janvier 1913 Léonie accouche d'un garçon mort-né.

La fin des jours tranquilles. En juillet 1914 les gendarmes sont venus chercher Louis, le frère et voisin de Léonie, et le tribunal de Falaise l'a condamné à trois mois de prison (*). Il n'est donc pas présent le samedi premier août quand, à la fin de la journée, on sonne le tocsin à l'église d'Ernes comme à toutes celles des villages voisins. Les rumeurs des jours précédents laissaient bien penser que la situation politique était grave, mais on ne voulait pas croire au pire. Et puis on avait autre chose à penser. On était en pleine saison des moissons. C'est le tambour qui vient confirmer la nouvelle. Le décret de Mobilisation Générale rappelle tous les hommes mobilisables "à l'activité" dès le dimanche 2 août.

Mobilisation. Gustave, Louis et Victor sont concernés. Le fascicule de mobilisation de leur Livret militaire est formel : ils doivent partir sur le champ pour se rendre à leurs casernes respectives. Victor a sûrement dû dire "Ne t'inquiète pas. Je suis maintenant dans la Territoriale et on ne m'enverra pas au front", mais cela n'a sans doute pas convaincu Léonie. Il part et rejoint le 3 août le corps du 23e RIT au château de Caen, son affectation dans la Territoriale. Dans les semaines qui suivent, Léonie a sans doute reçu des nouvelles rassurantes, autant que peuvent l'être les quelques mots convenus que les soldats mobilisés ont le droit d'écrire. Il semblait vrai que les Territoriaux, donc Victor, n'étaient pas au front.

Finir les moissons. Léonie s'est installée dans l'attente. Son frère Pierre, qui n'est pas mobilisable, va rester avec elle et il l'aidera. Elle en a bien besoin, occupée comme elle l'est avec ses trois filles encore petites. Mais Léonie doit gagner de quoi faire vivre sa famille. Les hommes valides étant partis, il faut bien que les femmes prennent la relève dès le mois d'août pour finir les moissons et à l'automne pour les labours, comme le réclame le Président du Conseil dans son appel du 6 août.

Appel du Président du Conseil aux femmes françaises. "[...] Au nom du Gouvernement de la République, au nom de la Nation tout entière groupée derrière lui, je fais appel à votre vaillance, à celle des enfants que leur âge seul et non leur courage dérobe au combat. Je vous demande de maintenir l’activité des campagnes, de terminer les récoltes de l’année, de préparer celles de l’année prochaine. Vous ne pouvez pas rendre à la patrie un plus grand service."

Mauvaises nouvelles. Dans le courant du mois de septembre puis du mois d'octobre, les terribles nouvelles se succèdent. On apprend par des courriers envoyés par les camarades, la disparition ou la mort des enfants du village qui ont été envoyés au front. C'est d'abord Raoul Heuzé, le fils d'Arthur, le maçon qui habite route de Vendeuvre, qui est porté disparu le 29 août quelque part dans l'Aisne, au nord de la France. C'est ensuite Henri Bacon, le fils de Pierre, fermier au hameau du Fossard, près de chez le père Anatole Louvel, qui est mort à l'infirmerie de Juvisy, le 30 août, suite à ses blessures. C'est encore Camille Laforge, le cantonnier, voisin de Gustave sur la route de Mézidon, qui est "tué à l'ennemi" le 13 septembre, au lieu-dit "Le Godat", dans la Marne. Et puis finalement c'est au tour de la famille d'être frappée. Louis Robert, le frère de Léonie, est porté disparu au même maudit lieu-dit où Camille Laforge a été tué quelques jours plus tôt (*). Sa disparition a été constatée le 26 septembre dernier, dans le bois du Godat où il était au combat. On tente bien de garder un peu d'espoir en ne retenant que le mot "disparu". Peut-être Louis a-t-il été fait prisonnier par les boches ? En consolant sa belle-sœur Jeanne, Léonie sent cependant croître son inquiétude quant au sort de son mari et de son autre frère. En effet, avec déjà quatre proches ou voisins fauchés par les fusils ou les obus allemands en seulement deux mois de guerre, comment ne pas s'inquiéter pour Victor et Gustave !

La vie en noir. C'est déjà la fin de l'automne 1914. Les labours se terminent tant bien que mal. Les chevaux ayant été réquisitionnés eux aussi, il ne reste que la force des bras et des jambes pour faire le travail, ceux des femmes et ceux des hommes qui sont trop jeunes ou trop vieux pour être mobilisables. Les labours ne seront pas profonds cette année ! Puis c'est l'hiver. On n'a plus de nouvelles de Victor depuis déjà longtemps.

Encore une fois les gendarmes traversent le village accompagnés du maire. Les femmes les observent, visiblement soulagées dès qu'ils ont dépassé leur pas de porte. Quand ils s'arrêtent devant la maison, comme lors de l'annonce de la disparition de Louis, Léonie comprend immédiatement que ses inquiétudes ont trouvé leur justification. Cette fois c'est bien Victor dont on vient lui annoncer la mort... Il a été tué par un obus, le treize novembre 14, à Hébuterne dans le Pas-de-Calais, au nord de la France. Léonie a endossé ses habits de deuil. L'avenir n'est pas en rose.... Elle se retrouve seule, sans soutien une nouvelle fois. Mais elle a maintenant trois filles à élever. Et elles sont encore bien jeunes. L'aînée, Jeanne, a sept ans, sa sœur, Odette, a cinq ans et la petite dernière, Charlotte n'a que 2 ans et demi.

[Afficher le chapitre sur "Victor, mari de Léonie"]

La fin de la guerre n'est pas la fin de l'histoire. Gustave se sort finalement vivant de cette boucherie que fut la guerre de 1914-1918. On peut le découvrir et reconstituer son parcours à partir de sa fiche militaire. En revanche, point de fiche pour Léonie. Dans un premier temps, Léonie et ses trois filles deviennent pour moi des silhouettes floues à l'avenir indéterminé. Les archives nécessaires ne m'étant pas directement ou facilement accessibles, les pistes pour connaître la suite de leur histoire sont difficiles à suivre. Grâce à la Mairie d'Ernes et aux mentions marginales des actes de naissance qui sont devenues la règle dans l'état-civil, j'ai tout de même appris que les filles de Léonie ont vécu de longues années après la guerre, mais que décidément j'ai trop tardé à m'en apercevoir. Jeanne Valentine Marie est décédée le neuf juin 2005 à Falaise, juste avant de fêter son quatre-vingt-dix-huitième anniversaire. Adèle Magdeleine Odette est décédée le 19 septembre 1991 à Caen, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Charlotte Jeanne Pauline Adrienne, quant à elle, s'est éteinte à Saint-Pierre-sur-Dives le quinze décembre 2002 deux jours après qu'on lui ait fêté son quatre-vingt-onzième anniversaire.

Heureuse surprise. Un jour d'avril 2015, j'ai reçu un message qui m'a fourni quelques chaînons manquant à la chaîne des événements familiaux. Un petit fils de la cousine Léonie, qui n'était le fils d'aucune des trois filles connues de moi, avait trouvé ma trace sur le Net. Grâce à lui, j'ai ainsi appris que Léonie s'est remariée à la fin de la guerre, le 22 novembre 1918, à Saint-Pierre-sur-Dives (*). Elle a épousé Émile Mourière, un jeune gars de Vaudeloges qui a traversé la guerre sans dommage. Le malheur ayant apparemment fini de s'acharner sur Léonie, la suite est donc hors-sujet dans le présent chapitre. De son second mariage Léonie aura six enfants de plus, dont Madeleine qui donnera naissance à un fils, Bernard, celui qui m'a contacté. Probablement fatiguée par ses onze grossesses connues, Léonie décède finalement le sept mars 1936 à Saint-Pierre-sur-Dives, alors qu'elle n'a pas encore cinquante-et-un ans.