Les Korrigans de Paimpont (par Jacques Lecomte)
Le 2 Mai 2020 par LouJac • Réagir » • ∞ Partage »Chacun sait combien les données que l'on peut trouver dans la littérature au sujet de genre Korriganus (*) sont vagues et contradictoires. En particulier la systématique reste bien confuse. Pourtant, des observations personnelles effectuées dans la région de Paimpont m'ont montré que des critères éco-éthologiques permettent de mettre de l'ordre dans cette question embrouillée et de retenir au moins quatre espèces.
Nous trouverons ainsi :
Korriganus sylvestris correspondant aux Kornikaned du folklore bas-breton. Il s'agit d'une espèce nocturne ou crépusculaire, mais c'est le cas de l'ensemble du genre, de moeurs hypogées surtout connue par ses mâles qui à l'époque du rut viennent à la surfaces pousser des mugissements. Ce comportement a valu à l'espèce son nom celtique Korn = corne, Kana = chanter. Ce sont des Phythophages stricts dont l'habitat principal est la forêt futaie de feuillus. Ils ont souffert tout autant du déboisement et de la dégradation de la forêt de Paimpont que des reboisements récents en résineux. En particulier aucun relevé n'a pu être effectué dans les zones ou le sol a subi un commencement de podzolisation.
Korriganus brandensis, connu sous le nom de Koril (Korole = danse), très proche morphologiquement de la précédente espèce. Elle est également nocturne mais se distingue essentiellement par son habitat qui correspond aux deux grands types de landes xérophiles et mésophiles. Les Korils sont bien connus par les rassemblements importants qu'ils effectuent au clair de lune et pendant lesquels ils dansent pendant des heures en chantant. Ce comportement dont l'analyse montre qu'il peut être assimilé à un "lek" (*) a d'ailleurs donné lieu à de curieuses légendes. Le voyageur entendant le chant des Korils la nuit dans la lande avait trouvé des mots bretons ayant approximativement les mêmes consonnances : "dilum, dimeur, dimerc'her". D'autre part l'agressivité des korils à cette saison a souvent été à l'origine d'accidents plus spectaculaires que réellement dangereux mais qui ont définitivement accrédités les légendes que tout le monde connait.
Korriganus palustris. Poulpikan ou poulpiquet (Poul = lieu bas, mare; pika = fouiller). Le nom spécifique semble mal choisi en effet c'est plus dans la prairie hydrophile que dans les marais que se rencontre cette très rare espèce dont je n'ai pu apercevoir qu'un seul exemplaire en juin 1972. Il était occupé à ronger l'écorce d'un Salix aurita en un lieu que je tiens secret dans le but évident d'assurer sa protection. Les causes de la raréfaction de cette espèce tiennent sans doute au trait éthologique, unique semble-t-il chez les mammifères, qui caractérise leur reproduction. Un peu après la mise bas, la femelle cherche en effet dans le voisinage une mère élevant un jeune et opère la substitution. Il semble prouvé qu'à l'époque où cette espèce était très abondante et ou certaines populations rurales n'avaient pas encore atteint le niveau d'hygiène que nous connaissons, il y ait eu des cas de substitutions concernant des bébés humains. On trouve dans l'ensemble du folklore européen des références à ces faits, ils sont souvent agrémentés de détails pittoresques par exemple celui du test infaillible pour dépister la présence du jeune poulpiquet qui consiste à lui montrer de l'eau en train de bouillir dans des coquilles d'oeufs vides. Quoi qu'il en soit et sans vouloir tenter de démêler le vrai du faux dans la légende, il nous faut admettre que ce comportement de "coucou" a été la raison principale du recul de l'espèce dont les jeunes n'étaient généralement pas bien acceptés par les parents adoptifs et dont les adultes ont été pourchassés outre mesure.
Korriganus melanus. Deuz ou teuz (Du = noir).
C'est surtout en ce qui concerne cette espèce que les assertions fantaisistes de nombreux auteurs doivent être sérieusement corrigées. Tout d'abord il est faux de dire qu'il s'agit d'une variété mélanisante de K. brandensis, une étude écologique de la répartition de cette espèce montre bien sa liaison avec divers agrosystèmes, en particulier la formation comprenant des prairies permanentes entourées de talus boisés. Pouvons-nous espérer savoir à quelle biocoenose appartenait cette espèce avant que l'homme n'ait entrepris de cultiver les régions où il se trouve en abondance ? peut-être des analyses plus fines pourrons nous permettre de formuler des hypothèses, mais pour le moment nous devons avouer notre ignorance. Pourtant nous pouvons repousser catégoriquement l'assertion selon laquelle les "Deuz" seraient une espèce migrante arrivée en Bretagne au cours du 8ème siècle. On trouve en effet des témoigrages attestant sa présence bien antérieurement, par exemple dans Saint Augustin (de civit. Dei. Lib XV cap 23) on trouve la phrase suivante "quosdam daemones quos dusios Galli nuncupant". Bien entendu cette espèce est également très menacée. Encore relativement abondante dans la région de Paimpont; elle disparait des régions remembrées, où pourtant son rôle dans l'aération du sol et la formation de l'humus était reconnu comme important et apprécié.
CONCLUSION.
En résumé, nous pouvons dire que, bien que l'étude éco-éthologique que j'ai entreprise me permette déjà de différencier quatre espèces et de donner les grands traits d'une biologie assez homogène, tout ou presque reste à faire dans le détail.
Ces quatres espèces menacées pour de multiples raisons comme les autres représentants du genre ou de genres voisins disséminés dans quelques zones refuges (*) d'Europe, subsisteront-elles assez longtemps pour pouvoir être l'objet de monographies. C'est aux autorités compétentes en matière de protection de la nature qu'il appartiendrait de prendre des mesures pour sauver ce qui peut l'être de ces espèces attachantes malgré leur mauvaise réputation.
Bibliographie Sommaire.
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